12.23.2011

Un cimetière un jour de Toussaint ressemble à une exposition un jour de vernissage.

°°°V°°°

J'ai pu écouter
le sable s'égrener sur le sable la mer mourir sur le sable
et le sable en amour se rejeter à la mer

J'ai pu tenir le sable entre mes doigts
et ces particules qui le faisaient Roi
redevenir la plage

Parfois j'y inscris mes doigts
et je griffe
et l'eau remonte jusqu'au bord
de mon poignet

Il y existe un signe effacé
que reprend la lumière pour exalter ses ombres

°°°V°°°

Je pose ma main sur mon visage
comme il est étrange pour ma main
d'avoir un visage et le visage imagine
comme il peut être étrange d'avoir une main


°°°V°°°


jamais je ne suis allé aussi loin que tout à la fin de ma main
qui désirait toucher une herbe
une étoile ou la poussière du chemin

Le pèlerin qui passait
me faisait alors l'aumône en me disant
«comment peut-on perdre ses mains»

°°°V°°°


Celle qui avait découvert son sein
se réjouissait car elle pensait
avoir dénudé l'Univers


°°°V°°°


Quelque chose tremble
ne répond pas
je pense que c'est un doigt
qui erre sur ma manche

Mais si c'était un éclair
une eau engloutissant les sables
ou bien tout à la fin, la fin des Mondes

Quelque chose de terrible tremble
je pense que c'est là ma mémoire

°°°V°°°


I’aveugle se regarde
c'est un enfer infini


°°°V°°°

Dressé contre son ombre
il s'efforce de faire glisser son sourire
entre la forme de ce qui semble
et celle qui ne semble plus être
ce qu'il était
quelques signes de doigts errent
au hasard pour indiquer, peut-être,
quelque passage
les silences se sont refermés
mais l'on peut encore entendre siffler
le vent

°°°V°°°

La barque écourte le long frôlement
des joncs
griffant leur bleu sur le signe des
lunes ils vont
Il y en a un qui tire son oreille
crache sa langue et se renvoie
au ciel
Et c'est comme un remords
et le crapaud déglutit


°°°V°°°


À la pierre s'ajoutent les mouvances
d'un jour de sable mort
le jonc jailli du sol a pour
mémoire une crécelle de sel

La femme dit: te voilà
aux ombres qui enveloppaient sa nuit

Et lorsque le soleil se fracassa
sur les ruines
il y eut un petit rire discret

°°°V°°°

Quelque chose de sourd
entre tes lèvres

Il pleut

Une mesure d'eau s'allonge
sur les ombres

Les lèvres s'ornent de rouge
la peinture s'écaille
un coin de sourire retombe

Quelque chose d'autre
se blottit dans la poussière

Il pleut

°°°V°°°


Quelque part il dort
avec sa poussière pour le couvrir
Il se demande s'il rêve
Ici était un fleuve
et là une main avec des veines bleues

Les pierres se sont posées entre les rocs
et les sables
les regards ont disparu

Il reste cet oiseau
pour se poser, s'élever, repartir

L'homme s'efforce de suivre l'oiseau
et mâchonne quelques images
entre ses dents pourries

°°°V°°°

Ma main pouvait être le serpent
et le serpent ma main

Celui qui conduisait la bête
était bleu de regard

Et ils passaient sur l'orge

De l'autre côté de la rivière
la lumière ne cessait de fixer
ceux de l'autre rive

Tout était tentation

°°°V°°°

Si j'ai gardé ton sourire
c'est pour te le redonner un jour
ou une nuit ou une heure
avec tout cet amour et la lumière
qui est cette si lente transparence
de ton regard crevant le mien

°°°V°°°

Il n'y a rien ici
sinon une trace de pas
que la lumière même ne dévoile

je suis venu, revenu
tout était retenu dans le calme
d'une aile d'oiseau brisant l'été

Une nacelle tourbillonnant en les ors
d'un torrent
ou la creuse paume du mendiant
remodelant la terre

Tout était comme ce devait être
avec un bleu infini
et ce soupçon de sourire

°°°V°°°

Le mur si lentement séchait sa terre
le ciel le cerclait de bleu, dur,
infiniment et c'était comme doigt
cernant l'ocre fou d'une fontaine

Il n'y avait d'autre mesure que
celle du doigt et du ciel
quelque chose pour commencer
et pour recommencer

Quelque chose pour finir peut-être
en le pas souple du boeuf noir
et pour encore revenir sur la trace de poussière
la trace noire et rouge de son pas

"Tsering Rimpoché - Traduction parue dans la revue Québécoise "Liberté"


(Perception de l'écoullement du temps - 1976)

7.02.2011

Le sort de l'art se devine dans les k'raclures du vernis

Les premiers siècles de l’histoire de Chine sont fort obscurs ; la raison principale de cette imperfection de nos connaissances est que l’archéologie n’a pas jusqu’ici apporté aux textes littéraires le complément d’informations dont ils ont besoin. Cet état de choses changera sans doute lorsqu’on aura entrepris de faire des fouilles dans le vieux sol où gisent enterrés les vestiges des époques disparues. A défaut de ces recherches méthodiques qui n’ont pas encore été pratiquées, un hasard heureux a fait découvrir, il y a une dizaine d’années, tout un ensemble de documents qui méritent au plus haut point de retenir notre attention, car ils paraissent être antérieurs au premier millénaire avant notre ère.
En l’année 1899, on exhuma, dans des conditions que nous ignorons, plusieurs milliers de fragments d’écaille de tortue et d’os, couverts de caractères d’écriture, dans une localité située à 5 li à l’ouest de la sous‑préfecture de Ngan-yang, qui constitue la ville préfectorale de Tchang‑tö, dans le nord de la province de Ho‑nan. On chercha aussitôt à tirer un parti commercial de cette découverte et on apporta un grand nombre de ces objets à Péking pour les vendre. Un riche mandarin. Wang Yi jong, nom posthume Wen-min, originaire de Fou‑chan dans la province de Chan-tong, en acheta un lot considérable. 

                               Autoportrait en flesh et en os N°7 - 2007

Sur ces entrefaites éclatait en 1900 la révolte des Boxeurs ; Wang était mis à mort, et son fils, obligé de faire argent de tout, devait vendre sa collection à un certain Lieou T’ie‑yun, originaire de Tan‑t’ou (ville préfectorale de Tchen‑kiang, dans le Kiang-sou) ; ce dernier devait mal finir, car il fut inculpé plus tard de malversations dans les affaires du syndicat des mines du Chan‑si et mourut en exil ; mais, en 1901, il était dans une belle position sociale, et pouvait se mettre en frais pour satisfaire sa manie archéologique ; il acheta tous les débris d’écaille de tortue et d’os qu’il put trouver et finit par en réunir plus de 5000 ; en 1903, il publiait un ouvrage dans lequel il reproduisait, par les procédés phototypiques, les estampages d’un millier de pièces.

                                 Autoportrait en flesh et en os N°13 - 2007

Quel qu’eût été le zèle de Lieou T’ie‑yun pour acquérir tous les fragments qu’il avait pu se procurer, il s’y était pris trop tard pour pouvoir remédier à la dispersion de la masse des documents. C’étaient des marchands du Chan‑tong qui avaient les premiers mis la main sur la trouvaille ; après qu’ils furent allés à Péking et eurent vendu une partie de leur trésor archéologique à Wang Yi jong, ils durent, à cause de la révolte des Boxeurs, regagner au plus vite leur pays d’origine ; ils arrivèrent à Wei hien ou sont quelques‑uns des collectionneurs les plus célèbres de la Chine et il est probable qu’ils firent affaire avec eux ; mais, si nous ne sommes pas bien informés sur ce point, nous savons du moins qu’ils trouvèrent bon accueil auprès des missionnaires américains établis dans cette ville ; l’un d’eux, M. Chalfant, acheta, pour le musée de la China Branch of the Royal Asiatic Society à Shanghai, quatre cents fragments environ d’écaille ou d’os et en copia quelques spécimens qu’il publia à la fin d’un volume intitulé Early Chinese writing (Memoirs of the Carnegie Museum, vol. IV, n° 1, Pittsburg, 1906). Mais comme les inscriptions n’étaient pas expliquées, son étude ne fut pas fort remarquée du monde savant qui conservait quelques doutes sur la haute antiquité des singuliers objets qu’on soumettait pour la première fois à son examen.
En 1907, un Japonais, M. Hayashi Taisuke, a écrit, au sujet des documents trouvés à Ngan‑yang, un article dans la Revue historique japonaise, mais je n’ai pas pu me le procurer. En 1910, M. Lo Tchen‑yu, appellation Chou-yun, a publié à Péking un petit volume de trente‑deux doubles pages sur le même sujet ; c’est au moyen de ce livre que je vais chercher à donner au lecteur Européen quelque idée des résultats qui ont été obtenus par la science des archéologues d’Fxtréme‑Orient.
La divination jouait un rôle considérable dans la Chine antique ; d’après les textes, elle se pratiquait. soit au moyen d’écailles de tortue, soit au moyen de tiges d’achillée ; nous pouvons ajouter maintenant : soit au moyen d’os, puisque nous avons des témoins authentiques de ce troisième mode de consulter les sorts.

                                 Autoportrait en flesh et en os N° 9 - 2007

Le chapitre Hong fan du Chou king (trad. Couvreur, p. 204-206) énumère les signes qui sont fournis par l’écaille de tortue et ceux qui sont fournis par l’achillée ; il montre l’importance relative des oracles rendus par l’une et par l’autre. Dans le chapitre K’iu li du Li ki (trad. Couvreur, t. I, p. 60-62), nous lisons la formule par laquelle on interrogeait l’écaille de tortue et l’achillée sur le choix d’un jour propice :
« Pour le choix du jour nous avons confiance en vous, ô vénérable tortue, qui suivez des règles constantes et assurées ; nous avons confiance en vous, ô vénérable achillée, qui suivez des règles constantes et assurées.
Le K’iu li ajoute que ces deux modes de divination étaient un moyen de gouvernement ; c’est par leur moyen que le souverain triomphait de toutes les hésitations du peuple et qu’il imposait à ce dernier des décisions que nul n’aurait osé contester. Le Che king et le Chou king citent plusieurs cas, soit d’intérêt public, soit d’intérêt privé, où on eut recours aux procédés de l’art augural.
Mais si les textes anciens qui nous parlent de la divination en général sont nombreux, rares sont ceux qui nous renseignent sur la manière dont elle se pratiquait. En dehors de quelques indications, parfois assez obscures, contenues dans le Tcheou li, ce n’est que le chapitre CXXVIII des Mémoires historiques de Sseu‑ma Ts’ien, le Kouei ts’ö tchouan, auquel nous pourrons nous adresser ; à vrai dire, d’ailleurs, ce chapitre n’est pas tout entier de Sseu‑ma Ts’ien, et, pour la plus grande partie, il a été compilé par Tch’ou Chao‑souen, à la fin du 1er siècle avant notre ère : mais il est évident que cette circonstance n’ôte rien à l’intérêt qu’il peut présenter. C’est principalement au moyen du Tcheou‑li et du Kouei ts’ö tchouan que, sous le règne de K’ang-hi (1662-1722), un certain Hou-Hiu composa son « Examen détaillé de la méthode de divination par l’écaille de tortue », dans lequel il reconstitue assez exactement les méthodes pratiquées par les devins de l’antiquité. Nous avons maintenant des informations plus précises encore, grâce à la trouvaille de Ngan‑yang.

                                 Autoportrait en flesh et en os N°15 - 2007

Sur plusieurs fragments d’écaille de tortue, on remarque, d’une part, des trous ronds ou ovales, de 5 à 10 millimètres de diamètre. qui ont été pratiqués avec un instrument tranchant ; d’autre part, des traces de brûlure. Les brûlures étaient destinées à provoquer, à la surface de l’écaille, des fissures qui, suivant leurs formes, étaient interprétées par l’augure ; mais, pour que ces fissures pussent se produire plus aisément, on avait eu soin au préalable de faire ici et là des trous qui rendaient l’écaille plus aisée à fendre.
L’acte de percer les trous est celui qui est désigné dans les textes littéraires par le mot [ ]. A vrai dire, ce terme a été mal interprété par le commentateur Tcheng K’ang‑tch’eng  (IIe siècle p. C.), qui y a vu l’équivalent du mot [ ] « brûler » et qui a par conséquent confondu l’acte de perforer avec celui de brûler (commentaire du chap. Che sang li du Yi li). Son explication a été adoptée par un grand nombre de lettrés, et c’est pourquoi le P. Couvreur (Cheu king, p.╓327) est d’accord avec la glose traditionnelle lorsque, dans une poésie du Livre des vers (Ta ya, I, ode 3) , il traduit les mots [….] comme signifiant : « il (Tan-fou) grilla notre tortue ». Mais nous voyons maintenant qu’il faut traduire : « il perfora notre tortue », en vue de consulter les sorts. Ce sens était d’ailleurs celui qui prévalait avant que la glose de Tcheng K’ang‑tch’eng eût brouillé les idées. En effet, Tou Tseu‑tch’ouen (1er siècle av. et ap. J.‑.C.), dit, dans son commentaire du Tcheou li (article du tchouei che, trad. Biot, t. II, p. 77) : « le mot k’i signifie creuser les perforations de l’écaille de tortue ».
Quant aux brdtures. elles ont été faites à l’endroit même où avaient été pratiqués les trous ; c’était déjà l’opinion de Hou Hiu, et l’inspection des fragments la confirme. Toutefois, un doute subsiste sur la manière dont on brûlait l’écaille ; d’un texte du Che sang li du Yi li, il résulterait qu’on employait une torche de branchages épineux : mais, si nous examinons les écailles elles‑mêmes, nous constatons qu’elles n’ont pas dû être posées directement sur la flamme, ce qui les aurait carbonisées sur toute leur étendue ; elles présentent seulement des taches noirâtres, comme si on les avait touchées en certains points avec un instrument porté au rouge vif.

                                Autoportrait en flesh et en os N°20 - 2007

Quand l’écaille s’était craquelée, on enduisait d’encre les fissures afin d’en faire mieux ressortir le contour. C’est l’opération que désigne le Tcheou li (trad. Biot, t. II, p. 75), quand il dit que le fonctionnaire appelé pou‑che, après avoir allumé le feu pour mettre en état la tortue, y appliquait l’encre ; de même dans le chapitre yu tsao du Li ki (trad. Couvreur, t. I, p. 682) , on lit que le clerc déterminait l’encre, c’est‑à‑dire qu’il fixait l’encre dans les fissures. C’est à tort que le Père Couvreur explique ce dernier passage en disant :
« On prenait une carapace de tortue, on la couvrait d’une couche d’encre et on l’exposait au feu. Ensuite on examinait la forme des fissures produites dans la couche d’encre par l’action du feu, et on y lisait la volonté du ciel.

                                 Autoportrait en flesh et en os N°16 - 2007

En réalité les craquelures se produisaient dans l’écaille elle-même et l’encre servait seulement à les renforcer.
« Après que les écailles de tortue et les tiges d’achillée ont été usées, lisons‑nous dans le chapitre K’iu li du Li ki (trad. Couvreur, t. I, p. 57), on les enterre.
On voulait par là éviter que ces objets sacrés fussent profanés. L’examen des fragments de Ngan‑yang nous apprend que les écailles de tortue n’étaient ainsi mises à l’écart qu’après qu’elles avaient servi à plusieurs reprises ; on ne se bornait pas à les consulter une seule fois ; on les utilisait aussi longtemps qu’elles présentaient une surface libre suffisante pour contenir de nouvelles fissures.
Les diverses opérations que nous venons de décrire sont indiquées dans des textes littéraires qui, autrefois obscurs, deviennent maintenant parfaitement intelligibles. Mais il est une dernière opération à laquelle nous ne trouvons aucune allusion nulle part, c’est celle qui consistait à graver sur l’écaille même quelques mots marquant pour quelle cause avait été faite la consultation. A vrai dire les caractères archaïques qui sont inscrits sur les fragments de Ngan-yang sont extrêmement difficiles à déchiffrer ; M. Lo Tchen-yu, qui est le premier à avoir tenté de les expliquer, est parvenu à transcrire d’une manière plus ou moins complète 134 de ces formules ; malheureusement, il n’a pas pris soin de mettre, à côté de ses lectures, les fac‑similés des originaux, en sorte que nous somnnes dépourvus de tout moyen de contrôle. Cependant, comme certaines des expressions qu’il a lues reviennent très souvent et se retrouvent sur les pièces reproduites dans le livre de Lieou T’ie-yun, il nous semble, après examen, que les lectures de M. Lo Tchen-yu doivent être suffisamment exactes pour qu’on puisse tirer quelques conclusions générales.

                                 Autoportrait en flesh et en os N°10 - 2007


En premier lieu, nous rencontrons plusieurs phrases du type de celle‑ci :  « nous avons consulté les sorts auprès de Tsou-yi ». Le nom seul de la personne consultée change ; au lieu de Tsou‑yi, on trouve Ta‑kia, Tsou-sin, Tsou-ting, P’an-keng, Tsou-keng, etc. Or ce sont là des noms d’empereurs de la dynastie des Yin, au deuxième millénaire avant notre ère. Dans certains cas nous remarquons des noms qui corrigent ou complètent les textes historiques ; ainsi, le nom de Wen‑ting, qui figure aussi dans le Tchou chou ki nien, nous permet de supposer que Sseu-ma Ts’ien a dû se tromper quand il substitua à ce nom celui de T’ai-ting qui figurait déjà une fois dans sa liste des souverains Yin. De même encore, nous savons par Sseu-ma Ts’ien (trad. fr., t. I , p.176) , que le père et le grand‑père du fondateur de la dynastie des Yin se nommaient respectivement Tchou‑jen et Tchou‑kouei : or, sur les écailles de tortue, on déchiffre les noms [ ] et [ ] qui indiquent, par l’adjonction du signe de la divinité aux caractères jen et kouéi, que ces demi ancêtres de la dynastie avaient dû être divinisés. Comme il est de règle à l’époque des Yin, tous les noms de souverains se terminent par un caractère cyclique de la série dénaire ; suivant l’explication la plus vraisemblable, ce caractère cyclique est celui qui convenait au jour ou était né le souverain.

                                 Autoportrait en skull N°6 - 2007

Qui avait le droit de s’adresser à ces empereurs défunts ? Ce ne pouvaient être que leurs descendants. Ces documents doivent donc émaner d’un des derniers empereurs de la dynastie des Yin. Je ne crois pas qu’on puisse affirmer aussi nettement que le fait M. Lo Tchen‑yu, que l’empereur Wou-yi (1198-1195 ou 1159-1125) transporta sa résidence dans l’endroit même où furent retrouvés les fragments d’écaille ; mais la chose est possible et, puisque l’empereur Wou yi et son successeur l’empereur T’ai-ting sont. eux‑mêmes mentionnés sur les écailles comme des ancêtres défunts, il est vraisemblable que ces fragments doivent être rapportés au souverain qui vint après eux, l’empereur Ti-yi, dont le règne commence suivant les uns en 1191, et suivant les autres en 1111 av. J.‑C., ces deux systèmes chronologiques n’ayant d’ailleurs l’un et l’autre qu’une valeur relative.
Enfin, c’est une chose bien digne de remarque qu’on employait l’écaille de tortue pour consulter, non des divinités quelconques, mais des ancêtres ; les ancêtres étaient les génies tutélaires qui protégeaient d’une manière invisible leur lignée et c’est pourquoi on s’adressait à eux quand on avait à leur demander conseil. Nous comprenons dès lors mieux ce que signifie un passage du chapitre Kin t’eng du Chou king (trad. Couvreur, p.╓216) : le duc de Tcheou offrait de racheter la vie de son frère aîné le roi Wou, qui était malade et paraissait devoir mourir ; il s’adressa donc aux mânes de son père de son grand‑père et de son arrière‑grand‑père pour leur persuader qu’ils auraient grand tort de rappeler auprès d’eux le roi Wou, car lui, le duc de Tcheou, était beaucoup plus apte que son frère aîné à les servir ; il consulta alors les trois tortues qui, toutes trois, donnèrent des réponses favorables. Qu’étaient‑ce que ces trois tortues ? C’étaient celles au moyen desquelles on avait interrogé les trois ancêtres, et chacune d’elles devait avoir été affectée spécialement à l’un de ces trois morts illustres.
Les écailles de tortue indiquent assez souvent les victimes qu’on offrait à l’ancêtre au moment où on l’interrogeait : suivant les cas, ce sont un, cinq, neuf ou dix bœufs, dix porcs blancs, ou, dans des textes dont la lecture ne paraît pas tout  l’ait sûre, des chiens, des moutons, du liquide fermenté.
Mention est faite aussi du jour où la consultation avait lieu ; ce jour est indiqué au moyen du cycle sexagésimal qui, dès cette époque reculée, s’était substitué au simple cycle dénaire de la haute antiquité.
    On avait recours à la divination principalement pour l’agriculture et pour la chasse ; voici en effet quelques formules prises parmi les plus claires :
« consulté les sorts pour savoir si nous aurons une bonne récolte » ;
« le jour ting-sseu, consulté les sorts par l’écaille de tortue pour savoir s’il pleuvra » ;
« consulté les sorts pour savoir si l’Empereur (d’en haut) ordonnera que la pluie ne permette pas d’obtenir une récolte suffisante » ;
« le jour ki-wei, consulté les sorts par l’écaille de tortue afin de demander si, quand on poursuivra les sangliers, on les prendra » ;
« consulté les sorts pour savoir si, quand on tirera de l’arc sur un cerf, on s’en emparera ».
Quelquefois, mais bien plus rarement, il semble qu’on ait inscrit, non plus la demande faite à l’écaille de tortue mais la réponse que celle‑ci a rendue ; par exemple :
« ce mois‑ci, il ne pleuvra pas » ;
« le jour ting-mao, il doit pleuvoir » ;
il est permis cependant de croire que ces formules sont incomplètes et que, si elles étaient rétablies dans leur forme intégrale, elles reprendraient la forme d’une interrogation.

                                 Autoportrait en skull N° 3 - 2007

En conclusion ces documents, malgré leur aspect fragmentaire, présentent un grand intérêt. Tout d’abord, ils paraissent bien être les plus anciens monuments écrits de la Chine et ils permettent de remonter à un stade de l’écriture que nous ne pouvions atteindre jusqu’ici ; Pour suivre les évolutions des formes graphiques des caractères, ils apportent des indications toutes nouvelles. D’autre part, ils sont gravés au couteau et on peut se demander si c’était là une pratique réservée aux écailles de tortue et aux os, ou si on écrivait de la même manière quand on écrivait sur bois ; la question sera peut-être insoluble, car il y a peu de chances pour qu’on retrouve jamais des fiches en bois datant du deuxième millénaire avant notre ère. A un autre point de vue, ces débris d’écaille et d’os ont une haute importance : jusqu’ici la dynastie des Yin était à demi légendaire ; sans doute, Confucius était un descendant des Yin et il déclarait vouloir se conformer aux rites que pratiquaient ses lointains ancêtres ; cependant, quand nous lisions le chapitre de Sseu‑ma Ts’ien sur les Yin, nous constations qu’il était, comme le chapitre sur les Hia, presque exclusivement composé de citations du Chou king insérées dans une liste généalogique et suivies des traditions relatives au dernier souverain qui perdit la dynastie par ses fautes ; c’est à peine si les brèves inscriptions des vases de bronze nous permettaient de tracer quelques linéaments fermes dans l’imprécision des légendes ; les textes exhumés à Ngan-yang marquent mieux la personnalité historique des Yin ; ils nous font assister à la vie de ces anciens souverains qui partageaient leur temps entre l’agriculture et la chasse et qui consultaient leurs ancêétres sur toutes les questions qui leur importaient ; l’histoire réelle de la Chine se trouve ainsi reculée de plusieurs siècles. Enfin, quand ces débris des plus anciens âges n’auraient eu d’autre mérite que de nous renseigner sur les procédés de la divination, ils seraient déjà par là même dignes d’attirer notre attention ; c’est grâce à eux en effet que nous savons maintenant avec quelque précision quelles manipulations on faisait subir à l’écaille de tortue pour la consulter ; nous comprenons mieux des textes qui étaient restés ambigus et nous pouvons reconstituer des cérémonies qui jouèrent un rôle considérable dans les préoccupations des hommes d’autrefois.



*
* *
LA DIVINATION PAR L’ÉCAILLE DE TORTUE
dans la haute antiquité chinoise, (d’après un livre de
M. Lo Tchen-Yu).

par Edouard CHAVANNES (1865-1918)




5.20.2011

Des S pris dans le KK de JC (Kro-nique de l'inFaMIe)

Quelques éléments incitant à douter

de l'existence physique de Jésus Christ

Depuis quelques décennies, évoquer le caractère légendaire d'Adam ou de Noé ne pose plus de problème à l'Église. En revanche, soulever la question de l'historicité de Jésus suscite un malaise qui confine à la panique. Il n'est pas difficile de cerner les causes de ce malaise : l'historicité de Jésus Christ ne peut être mise en doute, les principaux événements de sa vie, ses paraboles, son enseignement ne peuvent être soumis à discussion, sans que l'on relativise en retour le pouvoir d'une institution gouvernant un milliard d'âmes. Contrairement à l'Ancien Testament, qui traite de la première Alliance passée entre Dieu et les hommes, Alliance qui dans la vision chrétienne du monde a échoué, le Nouveau Testament a la prétention de rendre compte de l'Alliance en vigueur aujourd'hui, du Plan de Salut destiné à nos générations depuis 2000 ans. Si la tirade du Christ au premier pape supposé (" Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ") était reconnue interpolée, que faudrait-il penser de celui qui s'en proclame le successeur?


Reposer sur la terre

Ajoutons à cela qu'il existe un certain nombre de blocages dans le mode de fonctionnement de l'Église, qui l'empêchent de nuancer des affirmations essentielles - celles présentées à l'adhésion des fidèles comme " vérités de foi " par le magistère extraordinaire de l'Église (les dogmes, du grec dogma, opinion). Le vulgum pecus catholique n'a pas le droit de s'interroger à leur propos, puisqu'elles sont une partie intégrante de la Révélation. Or certaines font directement référence aux Écritures : la virginité de Marie, le sacrifice expiatoire de Jésus sur la Croix, son procès placé sous Pilate (seul personnage historique apparaissant dans le Credo)...




Pauvreté des sources profanes

Pour se faire une idée du Jésus historique, il faudrait d'abord chercher nos renseignements dans la littérature profane contemporaine des faits allégués, puisqu'elle seule n'est pas a priori altérée par des considérations religieuses. Mais les textes qu'on nous propose sont problématiques.

1) Carence des témoignages païens

Eusèbe a fait justice des Procès-verbaux de Pilate, dont se targue Tertullien. Nous ne possédons aucun acte officiel des autorités romaines se rapportant à Jésus.

Les auteurs du Ier siècle ne sont guère plus loquaces :

- Pline l'Ancien (23-79) ne souffle mot de Jésus ni d'une communauté chrétienne de Jérusalem, alors qu'il visite la Palestine trente ans après les événements supposés et qu'il prend soin de noter la présence des esséniens;

- même silence chez Perse (34-62), chez Martial (40-104), chez Sénèque (-4-65) bien qu'on ait fabriqué de toutes pièces une correspondance entre ce philosophe et St Paul ;

Les témoignages du IIe siècle nous sont d'une très faible utilité :

- Tacite (55-120), dans un texte de ses Annales, composé vers 115, aurait raconté la persécution des chrétiens de Rome par l'empereur Néron. Celui-ci les aurait accusé d'avoir allumé l'incendie qui ravagea la Ville en l'an 64. Tacite est censé avoir précisé que le nom de ces chrétiens " leur venait de Christ qui sous Tibère, fut livré au supplice par le procureur Ponce Pilate ". Mais, comme l'ont prouvé les historiens critiques, ce pseudo-témoignage est une interpolation;

- Pline le Jeune (62-114), gouverneur de Bythinie, demande à son ami l'empereur Trajan en 112 " comment il convient de se conduire à l'égard des chrétiens ". Mais il ne nous apprend rien sur l'existence de Jésus. Tout juste signale-t-il l'existence d'une communauté chrétienne au début du IIe siècle, mais l'on ne prouve pas l'historicité d'un dieu par la croyance de ses fidèles, sinon il faudrait croire à celle d'Hercule, de Marduk, d'Apollon, d'Asclépios dont les anciens vénéraient les tombeaux, respectivement à Cadix, Babylone, Delphes, Épidaure...;

- Suétone (69-125), dans sa Vie de Claude, écrit que l'empereur " chassa de Rome les juifs qui s'agitaient sans répit à l'instigation de Chrestus ". L'opération se passe en 50 - or l'on fait mourir Jésus aux alentours de l'an 30. De plus, Christos et Chrestos sont deux mots différents, l'un signifiant " l'oint " (désignant une personne consacrée), l'autre se traduisant par " le bon " et faisant parfois office de nom propre (le préfet du prétoire Ulpien avait un adjoint qui portait ce nom, par exemple). On ne tire pas grand chose de tels passages.

- les autres auteurs païens, comme Plutarque (46-120) ou Juvénal (60-140), sont d'un silence imperturbable sur la personne de Jésus.


Eclairer le monde

2) Carence des témoignages juifs

Carence d'autant plus surprenante que Jésus doit avoir vécu parmi ce peuple et qu'il est l'un des siens.

- Aucune allusion dans Philon d'Alexandrie (-13-54), qui a écrit plus de cinquante traités, dont une Ère de Pilate, et dont la philosophie du Logos ressemble à s'y méprendre à celle des anciens chrétiens;

-Rien dans l'Histoire des Juifs de Juste de Tibériade, au nom qui rappelle sa Galilée natale, où il a vécu et combattu les Romains;

- Peut-on faire mention du témoignage de Flavius Josèphe (38-94)? Dans ses Antiquités judaïques, on a cru trouver un passage significatif où l'historien évoque en Jésus " un homme sage, si toutefois il est permis de l'appeler un homme ", qui " était le Messie ". Il est aujourd'hui établi que ce passage est une forgerie chrétienne que ce juif pharisaïque n'aurait pu écrire sans aussitôt " courir au baptême ". Origène (185-354) assure que Josèphe " n'a pas montré que Jésus est le Christ " : l'ajout a donc été effectué par la suite;

- Le prétendu témoignage du Talmud est inconsistant. Le recueil a été composé trop tard pour qu'on lui accorde créance. La légende du soldat romain Panthera et de la " prostituée juive " Marie, reprise plus tard par le païen Celse, n'est visiblement qu'une caricature des Évangiles et un morceau de polémique antichrétienne.

Que conclure du silence abyssal des auteurs profanes? Il nous permet dans un premier temps d'apprécier à leur juste valeur les allégations des apologistes traditionalistes, dont certains ne craignent pas d'écrire qu' " il n'est guère de ses contemporains (à Jésus), même illustres, sur lesquels nous soyons aussi bien renseignés " (Raffard de Brienne)! Au mieux, nous pouvons accorder que ces textes, lorsqu'ils n'ont pas été remaniés, nous narrent les débuts des premières communautés chrétiennes, dans le premier quart du IIe siècle. Ce dont personne n'avait douté, puisqu'il faut un début à tout...

Quant à la vie de Jésus proprement dite, à son enseignement, à sa mort sur la croix et à sa Résurrection, il faut se résigner à ne les chercher que dans les documents chrétiens. Ces documents constituent notre seule et unique source. Pouvons-nous nous y fier ?

Les Évangiles et la question de leur datation

1) Position du problème

Les sources chrétiennes dont nous disposons se réduisent au Nouveau Testament. Dans ce recueil de vingt-sept livres, seuls les quatre Évangiles (du grec eu-aggelion, " bonne nouvelle ") décrivent les épisodes détaillés de la vie de Jésus et nous entretiennent des grands traits de sa prédication. Les Actes des apôtres ne retracent que l'histoire des premières missions chrétiennes, l'Apocalypse est un livre ésotérique et les Épîtres sont des écrits épistolaires relatant les difficultés rencontrées par les apôtres dans la propagation de leur foi.

On ne sait rien des prétendus rédacteurs des Évangiles, Matthieu, Marc, Luc et Jean, sinon ce qu'en rapportent d'improbables traditions qui ne s'accordent pas sur leurs origines. Les exégètes catholiques ont garanti la teneur des Évangiles par le fait que tous quatre avaient été témoins privilégiés (et certains oculaires) des événements. Rien n'est moins sûr.

A défaut de connaître l'auteur d'un texte (ce qui est gênant mais non rédhibitoire), il faut au moins, pour juger de la crédibilité qu'il convient de lui attribuer, évaluer la date de composition de ce texte afin de s'assurer qu'elle ne s'éloigne pas trop des faits qu'il rapporte. Plus elle s'en écarte, plus les faits risquent d'être dénaturés.

Dans le cas des Évangiles, le problème de datation ressort de l'absence des originaux des documents. Les plus anciennes copies complètes, le codex Vaticanus et le codex Sinaïticus, ne remontent qu'au IVe siècle, rendant vaines analyses d'encre et études paléographiques. Les exégètes se sont donc lancés dans une étude interne, afin d'observer si le contenu des textes nous informait sur l'époque de leur rédaction. Beaucoup s'y sont cassé les dents. La question suscite de vives querelles car de la réponse qu'on y apporte dépend la valeur testimoniale des Évangiles. Les conséquences doctrinales ne sont pas minces.



Traverser le désert

2) Les Évangiles ne sont pas des " premières mains "

Le texte des Évangiles que nous lisons aujourd'hui n'est pas une " première main " qui nous serait parvenue ne varietur. Ce texte est l'aboutissement d'un effort rédactionnel de longue haleine, le résultat de couches successives.

Les exégètes ont remarqué que les trois premiers Évangiles, ceux attribués à Matthieu, Marc et Luc, se ressemblaient suffisamment pour qu'on puisse établir entre eux des correspondances lorsqu'on les répartissait sur des colonnes parallèles - d'où leur nom d' Évangiles synoptiques. Des études ont montré qu'ils n'avaient pas été copiés l'un sur l'autre, compte tenu des contradictions qui s'y dévoilent.

On est un temps parvenu à la conclusion que Marc était le plus ancien de tous parce qu'il se retrouvait en entier dans les deux autres. Le " plus " que Matthieu et Luc ont en commun porte essentiellement sur des questions d'enseignement : il leur serait venu d'une seconde source, appelée Q (de l'allemand Quelle, " source "), qui aurait été constituée des Logia de Jésus, c'est-à-dire des paroles que celui-ci aurait prononcées durant sa prédication, sans la narration qui les accompagne d'habitude (cette source restant hypothétique dans la mesure où personne ne l'a retrouvée.) Le " plus " qu'ils auraient chacun pris isolément résulterait de traditions parallèles.

Mais les exégètes ont découvert, en scrutant les répétitions injustifiées de l'Évangile dit " de Marc ", qu'on croyait jusqu' alors tiré des souvenirs de l'apôtre Pierre, qu'il était lui aussi un document composite, compilation d'au moins deux traditions antérieures.

Les choses se sont encore compliquées dès qu'il est apparu qu'en certains endroits Matthieu et Luc étaient plus anciens que Marc! Il y aurait donc eu une rédaction de Marc avant Matthieu et Luc - et une autre après. A moins que Matthieu et Luc n'aient préféré se plonger directement dans les sources de Marc? A partir de là, les hypothèses sont allées bon train.

De plus en plus d'exégètes avancent que les Évangiles se sont constitués à partir " de sources lointaines, au moyen de petites unités rassemblées peu à peu, parfois sans lien (...) ". Des clercs auraient " rassemblés les prétendus "mémoires" glanés dans les églises, puis les collections ainsi faites se sont retrouvées dans les Évangiles sans qu'il y ait eu reproduction servile d'un recueil constitué ", comme l'écrit J.K Watson en reprenant l'idée du jésuite X.L.Dufour.

De quand datent les plus anciennes unités, les couches les plus proches des événements qu'elles sont censées relater?

Certains ont cru à une rédaction antérieure à l'année 70 puisque Marc prophétise la ruine de Jérusalem qui eut lieu précisément cette année-là. L'argument n'est valable qu'à condition que l'on dispose aujourd'hui du texte original, ce qu'il importe justement de prouver - et il se retourne vite contre lui-même puisqu'il suppose que le don prophétique de Marc est authentique et non construit après coup pour les besoins de la démonstration. Repousser au IIe siècle la totalité de la rédaction initiale n'est guère plus probant, sinon comment expliquer les passages manifestement anciens où le retour glorieux du Fils de l'Homme est annoncé avant que ne prenne fin la " génération des disciples "?

Il apparaît néanmoins qu'entre la rédaction initiale des plus vieilles unités, leur rassemblement et leur composition définitive, les étapes se multiplient - et le temps s'allonge. De nombreux passages ont un caractère trop théologique pour être d'origine : la formule trinitaire de Matthieu, par exemple, suppose une élaboration doctrinale invraisemblable dans les premières communautés; le Tu es Petrus, ignoré au IIe siècle par les docteurs et les apologistes comme Clément d'Alexandrie ou Irénée de Lyon, implique un certain développement de l'institution ecclésiale etc.

Les remaniements se comptent par centaine. S'ils varient parfois d'un exégète à l'autre, il est absurde d'en nier la réalité, eux seuls permettant d'expliquer les innombrables contradictions contenues dans les Évangiles, les multiples Jésus qu'on a pu y trouver. Ils suffisent à interdire d'attribuer à chaque Évangile une date fixe. " Chaque verset a son âge ", écrivait G. Las Vergnas, et il paraît vain de chercher à suivre leur évolution pas à pas.

3) Le témoignage des Pères de l'Église

Il y a mieux que l'étude interne, qui fait grande part à la subjectivité : c'est d'interroger les plus anciens auteurs chrétiens sur leur connaissance des Évangiles. Par leurs premiers lecteurs, nous saurons l'ordre d'apparition de ceux-ci et leur contenu primitif. La méthode n'est pas parfaite, mais elle a l'avantage de reposer sur du concret, quoique lacunaire.

En ce qui concerne l'ordre d'apparition des Évangiles dans l'histoire, une période butoir apparaît au premier coup d'oeil : les années 170. Les quatre Évangiles sont connus du Fragment de Muratori, écrit aux alentours de cette date, du Diatessaron de Tatien, qui en fait un amalgame autour de 172, et de St Irénée, vers 185. Quel que soit le texte que l'on privilégie, il n'y a pas à revenir sur la certitude (autant qu'on peut en avoir en histoire) qu'à partir de cette période l'Église primitive connaît les récits de Matthieu, Marc, Luc et Jean et leur porte assez de considération pour les préférer à la soixantaine " d'apocryphes " qui jusque là leur était concurrents et que l'Église citait régulièrement au cours du IIe siècle.

Il est permis de penser qu'alors ces quatre Évangiles n'ont pas une grande ancienneté, puisque St Justin les ignore, vers 160 (il ne possède que les Logia pour bâtir sa Vie du Christ). Ce qui ne signifie pas, naturellement, que tout ait été inventé après lui, mais que la construction de l'édifice évangélique n'était pas achevée lorsqu'il écrivait.

Peut-on tenter une date haute à la mise en circuit des différentes briques qui ont servi à bâtir cet édifice? A supposer qu'il faille croire Eusèbe qui écrivait au IVe siècle et qui nous offre plus d'une fois des preuves de sa non-fiabilité, la mention la plus ancienne que l'on possède des Évangiles serait celle de l'évêque d'Hiérapolis, en Phrygie, Papias, vers 150. Encore celui-ci ne connaît-il que Marc et Matthieu. L'Evangélion de Marcion, écrit vers 140, les ignore : on a même été jusqu'à penser que Luc l'aurait copié en se démarquant des options gnostiques de l'hérétique, ce qui est fort possible.

Mais est-on assuré du contenu des Évangiles de cette époque? Non. Si le nom de quelques évangélistes est attesté, nous ne savons rien ou presque du contenu des Évangiles qui leur sont attribués. Papias a lu deux Évangiles différents de ceux que nous connaissons, jugeant par exemple Marc " désordonné ", alors qu'il est reconnu que celui-ci pèche au contraire par excès d'organisation. Les polémistes païens comme Celse, Porphyre ou Tryphas, dans des controverses acerbes, n'ont-ils pas rejoint les craintes des chrétiens tels que Denys de Corinthe ou Irénée de Lyon, en condamnant le trafic des textes? Ils nous incitent à penser que pendant assez longtemps de " pieux auteurs " ont remanié les textes à leur convenance. St Jérôme, au IVe siècle, se plaindra encore de la falsification et du mélange des Écritures (le pape le chargera d'ailleurs de les " harmoniser " dans une version latine).

Il devient donc très vraisemblable qu'à la seconde moitié du IIe siècle si des bribes d'Évangiles existent certainement, si le nom de certains auteurs leur est déjà accolé, nos quatre Évangiles ne sont pas encore définitivement constitués. Cette étape ne sera franchie, au mieux, que vers 170. Ce n'est toutefois qu'au IIIe concile de Carthage, en 397, que le Nouveau Testament prendra sa forme actuelle (sans l'Apocalypse, qui pose d'autres problèmes). Soit au IVe siècle.

Nous sommes loin des dates habituellement avancées : Marc vers 65-70, Matthieu vers 75-90, Luc vers 65-80... - plus loin encore de l'optimisme démesuré de Tresmontant qui affirme que le récit de Matthieu date d'avant 36! Dans le meilleur des cas, de telles échelles ne peuvent jamais que situer la rédaction des quelques premières bribes évoquées plus haut, mais leur importance doit être tenue pour négligeable.

La rédaction définitive des Évangiles est donc à chercher beaucoup plus tard, plus de 100 ans après les événements qu'ils entendent relater. Elle a été précipitée pour supplanter les hérésies qui se répandaient, ce dont convient St Irénée. Il fallait faire coïncider les Écritures avec la foi des premières communautés. L.Rougier écrivait : " Les Évangiles sont rédigés pour l'endoctrinement des néophytes, la réfutation des hérétiques, la confusion des juifs endurcis, les besoins de la liturgie ".

Comme ils n'ont été formés qu'en vertu de critères théologiques, en reprenant à leur compte un ensemble de traditions écrites et orales, dont le genre veut que la dominante soit hagiographique, les Évangiles nous renseignent davantage sur la foi des premiers chrétiens (ils en sont l'expression) que sur Jésus lui-même - si toutefois il a existé, ce dont nous sommes en droit de douter sérieusement comme nous allons le voir. Se frayer un chemin à travers les amplifications catéchétiques opérées par les correcteurs au cours des deux premiers siècles et les erreurs des copistes (on écrivait alors sans séparer les mots) relève de la gageure. Le prudent Père Lagrange estimait que les Évangiles étaient " insuffisants comme documents historiques pour écrire une histoire de Jésus Christ " : selon lui, ils en étaient plutôt un " reflet ". Un reflet déformant jusqu'à quel degré?



Etre son reflet


Jésus at-il manger des champignons magiques À Cène?

SANTA CRUZ, Californie (Flash sans fil) - Chew à ce sujet: Un ethnobotaniste à Santa Cruz, en Californie, pense Jésus était grignotant champignons magiques à la dernière Cène. Clark Heinrich dit que l'homme a connu les effets psychédéliques des champignons depuis des milliers d'années avant Jésus-Christ - et figuré le Roi des Rois probablement allumé ainsi.
En fait, il pense que Jésus a été élevé sur shroom psychédélique »connu sous le nom" amanite tue-mouche "qui a été salué pour son goût ainsi que de ses voyages.

Heinrich dit le champignon ressemble à du pain pita et quand imbibé d'eau, il se sent exactement comme la peau humaine. Il chiffres c'est le pain que Jésus faisait allusion à la dernière Cène, quand il dit: «mangez ce pain, ceci est mon corps."

Mais ce n'est pas la façon dont Jésus seul peut avoir distribué des drogues psychédéliques. Heinrich dit que les gens qui mangent beaucoup de champignons ont une urine brun-orange qui est encore plus hallucinogènes - et les chiffres de l'eau changée en vin tout-puissant par sifflant dans une cruche de cinq gallons de H20.

Heinrich est l'auteur d'un nouveau livre, "Champignons magiques dans la religion et l'alchimie" (Park Street Press)
Les récits de la Nativité

1) date de naissance ?

L'Évangile de Marc, considéré comme le plus ancien par la plupart des spécialistes, n'en dit mot. L'Evangélion de Marcion, certainement antérieur aux Évangiles, raconte comment un Jésus déjà adulte descendit sur Terre autour des années 30. Phénomène curieux, ses adversaires du IIe siècle ne le réfutent par aucun argument de nature historique, aucun témoignage, mais par une prophétie d'Isaïe...

C'est donc peu avant la moitié du IIe siècle, que les fidèles commencent à réfléchir et à tenter de situer chronologiquement un fait qui aurait eu lieu environ 150 ans auparavant... D'où les contradictions étonnantes que rencontre l'exégète dans les récits évangéliques dits " de la Nativité " - et la question posée dès le début de la valeur testimoniale à leur accorder. Ne devrait-on pas penser qu'une date de naissance est un fait brut et non une élaboration théologique ultérieure?

Ces contradictions, par quelque biais qu'on les prennent, sont insurmontables. Elles ne peuvent en aucun cas s'accorder.

A première vue, Matthieu et Luc sont sur la même fréquence. Pour le premier, le Christ est né " au temps du roi Hérode ". Pour le second, Marie conçoit six mois après sa cousine qui, elle, conçoit " aux jours Hérode, roi de Judée ". Les deux évangélistes situent donc la naissance du Christ au plus tard en -4, puisque les historiens admettent qu'Hérode le Grand est mort à cette date .

Mais le même Luc (est-ce vraiment le même Luc, d'ailleurs?) vient tout compliquer. Il précise que Jésus vient au monde pendant le premier " recensement de Quirinius ", gouverneur de Syrie. Ce premier recensement est connu : il fut ordonné par Rome pour fixer les taxes directes en Judée, en 6 de notre ère. Ce qui fait au moins 10 ans d'écart avec la datation précédente. L'incompatibilité est totale : Jésus est au seuil de l'adolescence chez Matthieu tandis qu'il vient de naître chez Luc.

Luc nous apprend plus loin que Jean Baptiste prêche en " l'an quinze du principat de Tibère ", soit en 28, et que Jésus commence peu après sa vie publique à " environ trente ans ". Une soustraction suffit à démontrer qu'il se trompe, puisque 28-6 =22 et non " environ trente "... Encore une erreur de prés de 10 ans.

Voilà des estimations bien approximatives. Il est absolument certain qu'au moins un des deux évangélistes se trompe, si ce ne sont les deux à la fois.

Des chercheurs ont tenter de sauver la datation biblique. G.Messadié, par exemple, s'inspirant des travaux de Hughes, croit que l'étoile des mages est la conjonction spectaculaire, dans la constellation des Poissons, de Jupiter, la planète des rois, et de Saturne, le protecteur d'Israël. Cette conjonction, qui a eu lieu en -7, serait assez rare (elle se produit tous les 139 ans et tous les 900 ans dans la constellation du Poisson) pour avoir fortement marqué les esprits. Mais à moins de croire aux prédictions astrologiques, il n'y a à tirer de cette hypothèse si ce n'est l'inverse de ce que postulent ses auteurs : une date de naissance fabriquée après coup en raison de son symbolisme.

L'étoile qui guide les mages venus d'Orient vers l'enfant Jésus répond plutôt à la prophétie de Balaam : " Un astre issue de Jacob devient chef, un sceptre se lève issu d'Israël ", tandis que leur offrande répond à Isaïe. A noter que, dans les Évangiles, les mages ne sont pas au nombre de trois, ni même qualifiés de " rois ". Ces enluminures sont le fait des apocryphes. Les noms qui les ont popularisés n'apparaîtront qu'au VIIIe siècle (leur arrivée à l'Épiphanie correspond à l'antique fête des Saturnales, où l'on tirait au sort un roi-bouffon grâce à une fève placée dans un gâteau).

La computation du moine scythe Denys le Petit au VIe siècle, qui fit naître Jésus en l'an 1 et fixa l'ère chrétienne, ne repose ainsi que sur d'astucieuses jongleries dont le but était de démontrer la cohérence interne de récits qu'il était jugé inadmissible de penser contradictoires. Et voilà tout notre calendrier à revoir.

Ajoutons que la date du 25 décembre ne nous est livrée par aucun des Évangiles. Elle apparaît pour la première fois au IVe siècle. À l'époque, pour des raisons stratégiques aisément compréhensibles, l'Église de Rome crut habile de faire correspondre la naissance du Christ avec la naissance du dieu Mithra qu'on célébrait au solstice d'hiver sur la colline du Vatican (moment propice où le soleil effectue sa remontée dans le ciel, d'où son nom de Sol Invictus, fête du " soleil invaincu "), avec un léger retard de deux jours qui se retrouve aujourd'hui. La fameuse bûche de Noël est un vivant souvenir de cette tradition solaire indo-européenne. Avant de s'être métamorphosée en pâtisserie, cette bûche s'enflammait réellement dans l'âtre et restituait par analogie un peu de la lumière attendue depuis des mois.



Contraindre le feu

Pour expliquer la date de naissance de Jésus rapportée par les évangélistes, le mythologue Guy Fau a soulevé une hypothèse qui a le mérite de coller à la mentalité et aux usages juifs du Ier siècle :

Les juifs, écrit-il, ne se contentaient pas d'attendre vaguement la venue du Messie, ils savaient à quelle époque il devait paraître, car des prophéties permettaient de prévoir la date de cet événement (...) Flavius Josèphe, écrivant avec prudence à l'usage des Romains, signale discrètement qu'une prophétie est à l'origine de la révolte de 67 : " Ce qui excita les Juifs à la guerre, c'était un oracle équivoque des Écritures annonçant qu'un homme sorti du pays deviendrait ALORS le maître du pays"(Guerre des Juifs, VI-5). Les Romains aussi connaissaient cette prophétie, et Suétone nous apprend qu'ils tentèrent de la détourner au profit de Vespasien : cela ne pouvait convenir aux juifs! Or l'oracle n'était pas du tout équivoque, mais fort clair ; il s'agit de la parole de Jacob : "Le sceptre ne sera pas ôté de Juda, ni le bâton de commandement d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne Shiloh (l'Envoyé?), à qui tous les peuples obéiront " (Genèse, XLIX-10). Sous réserve de la traduction exacte de "Shiloh", qui a donné lieu à bien des commentaires mais où tout le monde s'accordait à voir une désignation du Messie, la date prévue peut être fixée avec exactitude. Le sceptre est sorti de Juda en -40, lorsque l'usurpateur Hérode (le grand) s'est fait reconnaître roi, avec l'appui des Romains, à la place du descendant légitime. Mais sous le règne d'Hérode, la Palestine est encore restée indépendante, il y avait encore une apparence de "sceptre". Par contre, cette apparence même a été détruite en +6, lorsqu'un procurateur romain s'installa en Judée. En négligeant le règne d'Hérode, sous lequel il ne s'était rien produit, le Messie devait donc paraître, soit à la mort d'Hérode (-4), soit, au plus tard, en +6. Et telle est l'origine des dates attribuées à la naissance de Jésus : Matthieu le fait naître dans la dernière année d'Hérode (-4), Luc au temps du recensement (+7), car on ne pouvait hésiter qu'entre ces deux dates, séparées par un intervalle de 10 ans. Sur le choix de la date exacte, il faut croire qu'on ne s'était pas mis d'accord (...) La naissance de Jésus n'est donc pas rattachée à un fait historique, mais à une prophétie.

Cette démonstration est assez éclairante.

2) Lieu de naissance ?

L'évangéliste présumé le plus ancien, Marc, donne à penser que Jésus est né à Nazareth, en Galilée, tandis que Matthieu et Luc le font naître à Bethléem en Judée : nouvelle contradiction . Comment trancher?

Allons pour Nazareth, en Galilée. Jésus n'est-il pas appelé " le Nazaréen "? Mais l'adjectif nazaréen entendu comme " homme du village de Nazareth " résulte d'une erreur de traduction de compilateurs tardifs. " De Nazareth " ou " nazaréthain " se traduit en grec par Nazarethenos, Nazarethanos, ou Nazarethaios et non par Nazarenos, Nazôraios ni même Nazarénos comme on le trouve dans les Évangiles (= " nazaréen "). Si dérivation il y avait, elle serait telle qu'elle prendrait figure d'exception. Le " nazaréen " se rapproche plus certainement du nâzir hébreu qui désigne " le saint " ou " le consacré ".

Circonstance aggravante pour Nazareth, aucun auteur du Ier siècle, juifs y compris, ne mentionne le nom de la bourgade. Elle n'apparaît dans les textes qu'à la fin du IIe siècle .

Jésus serait-il né à Bethléem? Pas si simple. A nouveau, il est tentant de se demander si, conformément à leurs traditions, les rédacteurs n'auraient pas cherché directement la réponse à leur question dans les textes prophétiques. On trouve chez Michée l'information que le Sauveur naîtra à Bethléem : " Et toi (Bethléem) Ephrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ". La bourgade est, ne l'oublions pas, celle dans laquelle David aurait reçu l'onction royale - riche symbole.

On sait qu'aux environs de Bethléem, des païens célébraient la naissance du dieu des céréales Tammouz (Adonis). Comme Hermès, Dionysos, Mithra ou Zeus, le dieu phénicien naissait dans une grotte, autre symbole, celui de la Terre-mère, de la matrice universelle - c'est bien ainsi, d'ailleurs, que nous représentons encore la crèche de Noël, popularisée au XIIIe siècle par St François d'Assise, à laquelle la tradition a ajouté le " boeuf et l'âne ", pour confirmer une prophétie d'Isaïe délaissée par les évangélistes. Les premières communautés chrétiennes ont donc investi ce site avec le désir de s'approprier un lieu sacré.

Non seulement on ne peut trancher en faveur de l'une ou de l'autre hypothèse mais elles apparaissent aussi invraisemblables l'une que l'autre. Contresens, reprise d'un mythe folklorique inséré dans la vie du Christ, justification a posteriori d'anciennes prophéties : autant de signes qui appellent à la méfiance.


Dans le ciel, je me promène

3) Les parents de Jésus?

Si Matthieu, Luc et Jean désignent Joseph comme père de Jésus, il n'en va pas de même pour Marc, qui n'en dit pas un mot.

A en croire Matthieu et Luc, Joseph descend du roi David, ce qui est tout à fait dans la ligne des croyances messianiques de l'époque, mais il en descend par Jacob pour Matthieu et par Héli pour Luc. En remontant la généalogie jusqu'à Abraham, l'un compte 40 degrés, l'autre 56; de David à Jésus ; 26 noms sont recensés par le premier, 42 pour le second. C'est ennuyeux, surtout pour les absents : quelque 16 générations! Mais l'essentiel n'était-il pas que Zacharie ait annoncé que le Messie serait de la " maison de Joseph "?

Pour Marie, les renseignements sont aussi parcimonieux. Remarquons que l'on comprend mal l'intérêt de généalogies davidiques, si Joseph n'est que le père adoptif de Jésus, comme on l'enseigne. Cette contradiction ne s'explique que si les informations portant sur la virginité de Marie sont venues dans un second temps s'intégrer dans les récits de la Nativité. Marc reste d'ailleurs muet sur cette exception anatomique, dont la mariologie s'est emparée. Et l'apôtre Paul n'écrit-il pas que le Christ est " né d'une femme " - et non d'une vierge?

La virginité est typique du milieu gréco-romain où sont rédigés les Évangiles et dans lequel on cherchait à répandre la " bonne nouvelle ". Dans la mythologie païenne, Persée naît de Danaé fécondée par une pluie d'or, Apis est le fruit d'une génisse fécondée par un rayon de soleil, Attis naît de Nana après qu'elle a mangé une grenade... Les naissances miraculeuses étaient aussi attribuées aux sages et aux grands philosophes, tels que Pythagore, né d'Apollon et de la vierge Pythais, ou Platon, fils de Périctone et du même Apollon. Par ce procédé narratif, les anciens exprimaient couramment le caractère divin ou exceptionnel de l'être vénéré. Les chrétiens l'employèrent avec d'autant plus d'empressement que, dans leurs pays de mission, il apportait une preuve supplémentaire de la divinité de Jésus (ils croyaient en trouver une justification dans la Bible des Septante, qui semblait faire référence à une vierge à venir - problème : la Septane avait incorrectement traduit halamah, terme hébreu qui ne désigne pas une vierge mais une " jeune femme ").

Plus généralement, l'incarnation (le fait qu'un dieu prenne une apparence humaine) est profondément étrangère au monothéisme juif du Ier siècle, alors qu'elle est habituelle chez les païens depuis des millénaires. Ne songeons qu'aux pharaons d'Egypte.

D'autres mythes païens ont influencé les premiers chrétiens dans leur représentation des parents de Jésus. La résignation de Joseph à son sort peu enviable est identique à celle d'Amphitryon dont la femme Alcmène partage sa couche avec Zeus - Alcmène, qui a droit comme Marie à son Annonciation en la personne du prophète Tiresias, dont les paroles (" Réjouis-toi, toi qui a mis au monde le plus vaillant des hommes... ") rappellent étrangement celles de l'ange Gabriel : " Réjouis-toi, comblée de grâces (...) Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils (...). Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut ".

L'imagerie de Marie s'est aussi largement inspirée de la statutaire antique, des déesses à l'enfant et notamment des statues d'Isis, déesse égyptienne de la Lune, au manteau bleu constellé d'étoiles, qui tient serré dans ses bras l'enfant Horus emmailloté. Le mois de mai, aujourd'hui consacré à Marie, l'était naguère à Cybèle. Anahita aussi était dite Immaculée, l'Ishtar d'Arbèle était célébrée le 15 août, fête reprise plus tard par la mariologie... etc.

La Passion du Christ

1) La Cène

La Cène (du latin cena, " dîner ") serait le dernier repas pascal du Christ. Elle ouvre le cycle de la Passion, période au cours de laquelle, selon l'interprétation chrétienne, le Fils de Dieu endure des souffrances ayant valeur rédemptrice pour le genre humain.

Durant la Cène, Jésus, voyant sa mort arriver, aurait accompli les gestes et prononcé les paroles qui survivent aujourd'hui dans l'Eucharistie et donnent lieu à la communion des fidèles.

Laissons de côté la date pour nous concentrer sur le coeur du repas, les mets sacrés, le pain et le vin pris pour le corps et le sang du Christ, dont la consommation est censée être le gage de l'Alliance Nouvelle conclue entre Dieu et les hommes (" Prenez, mangez ceci est mon corps (...) ; Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de l'alliance nouvelle qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. ").

Ni ces mets, ni leur consommation ne constituent la révolution rituelle souvent décrite aujourd'hui. De tels rites sont des pratiques courantes au Ier siècle - et depuis longtemps - dans les religions à mystères. Asiatiques ou égyptiennes à l'origine, celles-ci ont progressivement envahi le monde gréco-romain quand se forment les premiers embryons du mouvement qui donnera le christianisme.

Comme leur étymologie l'indique, ces " mystères " étaient des cultes secrets, dans lesquels les initiés, ou mystes, s'assuraient le salut éternel par leur participation à la passion d'une divinité. Durant le déroulement du drame sacré, les mystes mangeaient la chair du dieu afin de mieux s'identifier à ses vertus et accéder plus facilement à la félicité divine. Dans les mystères grecs de Dionysos, il s'agissait de manger la chair crue d'un taureau ou d'un chevreau . S'y ajoutait l'absorption du sang dans les mystères du dieu iranien Mithra. On buvait aussi le sang divin dans le culte du dieu phrygien Attis. Avec le temps et du fait de leur coût important, ces aliments furent souvent remplacés par... du pain et du vin, la chair et le sang symbolisés. Dans les repas de communion d'Osiris, les paroles rituelles qui étaient prononcées ressemblent à s'y méprendre à celle de la Cène évangélique : " Tu es vin et tu n'es pas du vin mais les entrailles d'Osiris " - l'incarnation à laquelle fait référence ce papyrus étant clairement l'annonce de la transsubstantiation.

Ce qui surprend, dans les Évangiles, ce n'est pas tant la présence de ce rite, qui existait depuis des siècles, que son intrusion supposée en plein coeur d'Israël. Car la loi juive est implacable : il est formellement interdit de donner son sang à boire. Entorse gravissime aux prescriptions de la Thora, cette cérémonie était inconcevable dans le milieu des juifs de Palestine, rétifs à ce symbolisme sanguinaire d'essence païenne, qui bouleversait de fond en comble leurs coutumes. Les repas de " fraternité sainte " que pratiquaient les esséniens, dont on a voulu voir l'ancêtre direct de l'institution eucharistique, n'allaient pas aussi loin : tout au mieux ont-ils été un support. Le substrat de la communion chrétienne est visiblement étranger : il faut le chercher dans les usages des pays où les prosélytes ont recruté leurs premiers adeptes.

2) Le Procès

L. Rougier écrit : " Le récit du procès, en particulier, est un tissu de contradictions, d'incohérences, d'invraisemblances de la part d'écrivains qui ignorent tout de la juridiction du Sanhédrin, de la justice romaine et qu'anime le seul souci de faire retomber tout l'opprobre sur les juifs ".

Les contradictions entre les évangélistes surabondent à nouveau. Pour les synoptiques , ce sont les troupes juives aidées par la foule qui procèdent à l'arrestation de Jésus au Mont des Oliviers. Pour Jean , et pour lui seul, ce sont les forces romaines.

Le déroulement même du procès les divise. Marc et Matthieu évoquent deux comparutions devant le Sanhédrin, Luc se limite à une, et Jean n'en connaît aucune.

Ajoutons qu'aux dates indiquées par les évangélistes (la nuit précédent la Pâque), il était interdit au Tribunal de siéger.

Tout dans l'attitude de Pilate (le procurateur de Judée devant lequel le Sanhédrin aurait déféré Jésus après l'avoir jugé selon ses lois) est aussi invraisemblable et contraire aux usages.

Pourquoi envoie-t-il l'accusé au tétrarque de Galilée Hérode-Antipas, qui n'a aucun droit de juridiction en Judée?

Comment croire à la scène où il choisit de libérer le meurtrier Barabbas au lieu de relâcher l'homme qu'il vient publiquement d'innocenter? Pilate était un préfet tyrannique, sans état d'âme, que Rome a destitué plus tard en raison de ses outrances à l'encontre des samaritains. De plus, la coutume d'accorder aux juifs la grâce d'un prisonnier chaque veille de Pâque n'est confirmée par aucun document. Enfin, Barabbas signifie en araméen " le fils du père " : il s'agit manifestement d'un doublet de Jésus, dans la tradition juive des deux boucs (à l'occasion du Yom Kippour, un " bouc-émissaire ", tiré au sort et chargé des fautes d'Israël était lâché dans le désert tandis qu'un autre, " innocent " celui-là, était immolé à sa place hors de la ville, pour expier les fautes commises par son peuple. L'analogie est flagrante).

Que cette scène ait été imaginée dans le but d'exonérer les Romains de la mort du Christ pour accabler du même coup les juifs est hautement probable.

3) La mort (et la Résurrection)

La mort nécessaire du Messie était annoncée (elle aussi) par les prophètes de l'Ancien Testament. Et même dans le détail :

- il était écrit qu'il serait frappé de verges,

- qu'on lui cracherait à la figure,

- qu'il resterait stoïque dans l'adversité,

- qu'il mourrait entre des malfrats,

- que ses pieds et ses mains seraient déchiquetés,

- qu'aucun os ne lui serait brisé,

- que pour toute boisson on lui tendrait du vinaigre et du fiel,

- que ses habits seraient partagés,

- que son âme ne serait pas livrée au shéol et que son corps ne verrait pas la

corruption,

- qu'il revivrait au bout de trois jours etc., etc.



Toutes ces prophéties étaient consignées dans des recueils qui circulaient dans le monde juif de Palestine, auxquels se référaient ceux d'entre les croyants qui attendaient l'arrivée prochaine de leur libérateur. Ces messianistes étaient des groupes sectaires juifs (certains de leurs documents ont été retrouvés à Qumran), qui avaient élaboré une théologie axée sur le " Messie souffrant " tel que le présente Isaïe. Depuis le IIe siècle avant notre ère, ils vivaient dans l'attente imminente du retour du " Maître de Justice ". Il n'est pas étonnant de retrouver la saveur de leurs croyances dans les Évangiles.

Selon un spécialiste de l'étude des manuscrits de la mer Morte, Dupont-Sommer :

Le Maître galiléen (Jésus), tel que nous le présentent les écrits du Nouveau Testament, apparaît à bien des égards comme une étonnante réincarnation du Maître de Justice (prêtre juif, chef de la secte essénienne, mort vers -65). Comme celui-ci, il prêcha la pénitence, l'humilité, l'amour du prochain, la chasteté. Comme lui, il prescrivit d'observer la Loi de Moïse, toute la Loi, mais la Loi achevée, parfaite grâce à ses propres révélations. Comme lui, il fut l'Elu et le Messie de Dieu, le Messie rédempteur du monde. Comme lui, il fut en butte à l'hostilité des prêtres du parti des Sadducéens. Comme lui, il fut condamné et supplicié. Comme lui, il monta au ciel près de Dieu. Comme lui, à la fin des temps, il sera le nouveau juge.
G. Fau pose une pertinente question : " Quel crédit peut-on accorder à des récits composés exclusivement de textes préexistants ? (...) où est la tradition vivante ? Où sont les témoignages ? Où sont les faits ? ".

En effet, si l'on retire les événements qui n'ont pas fait l'objet d'une référence scripturaire, que reste-t-il du récit de la mort du Christ rapporté par les évangélistes?

- La croix? On la trouve dans de nombreuses religions antérieures au christianisme, sans parler de la croix cosmique de Platon, formée par le croisement des deux axes du monde, dont le gnosticisme reprend les éléments pour y placer le Logos ;

- La rédemption par le sacrifice d'un dieu? On la trouve dans les religions à mystères, où il est question d'un dieu souffrant qui meurt et ressuscite pour ses fidèles à l'équinoxe de printemps, à l'heure où la vie de la nature reprend ses droits sur l'hiver. Chaque année Tammouz (Adonis), Osiris, Attis mouraient (Attis, pendu à un pin) et ressuscitaient après trois jours. Durant leur " mort terrestre ", Adonis, Attis, la déesse Ishtar, Orphée, descendaient comme Jésus aux Enfers...

La plupart de ces dieux étaient salués du titre de " Seigneur " (ce qui se traduit en grec par Kyrios) titre que la communauté chrétienne d'Antioche et plus tard l'Église de Rome accorderont à Jésus. On leur attribuait la qualité de " Sauveur " (Sôter en grec), comme on le fera également pour le Christ.

Le plus ressemblant de ces dieux avec Jésus est sans conteste Mithra. Comme Jésus, il est considéré comme " Fils de la droite du Père brillant ". Comme Jésus, il a cette caractéristique rare d'être célibataire. Lui aussi meurt puis ressuscite. Lui aussi revient à la fin des temps pour juger " les vivants et les morts ", lesquels ressusciteront à leur tour dans la chair. Son culte comprend un repas commémoratif et un baptême d'initiation.

La parenté du christianisme naissant avec les mystères est à demi-avouée par l'apôtre Paul, premier diffuseur de la doctrine, évoquant la " révélation d'un mystère enveloppé d'un silence aux siècles éternels, aujourd'hui manifesté. "



ECCE HOMO

Toute la substance des Évangiles serait-elle servilement recopiée?

Non. Pas plus que l'Ancien Testament, le Nouveau n'est un vulgaire plagiat. Il a son style, sa qualité littéraire, une faculté évidente d'adaptation (le syncrétisme est le propre des religions universalistes, mais le christianisme a eu le génie de parvenir à concilier des traditions qu'a priori tout opposait), il a développé un type d'universalisme peu restrictif (le culte de Mithra s'adressait aux seuls hommes) et mis l'accent sur " l'esprit d'amour " comme peu de religions auparavant. En bref, il est parvenu à naviguer sur son erre.

Ce qui est profondément gênant, toutefois, si l'on décide de lire le Nouveau Testament avec un oeil d'historien, c'est que lorsque sont enlevés les emprunts et les invraisemblances, il semble ne rester - rien.

Tout le débat repose sur l'acception et l'étendue du verbe " sembler ".





Paul-Éric Blanrue

2.17.2011

Expier en expirant est le destin cyranoïaque du tamanoir

Le Baphomet. Klossowski, faire sauter le verrou de l’identité





La lecture du Baphomet de Pierre Klossowski laisse une impression d'étrangeté rare. D'une part, l'auteur développe une théorie des intensités inquiétante qui dissout ses personnages, les modifiant sans cesse au gré des souffles déchaînés. De l'autre, l'expression stylistique semble directement tirée du XIII ème siècle et de la tête du Grand Maître de l'Ordre des Templiers. L'auteur théologue nous fait vivre les affres existentiels de cet hérésiaque d'une autre époque qu'il réinvente pour explorer un monde dans lequel la catégorie homme laisse la place aux souffles, "oublieux d'avoir jamais eu un corps". On peut également se demander s'il ne décrit pas une back-room gothique pour moines-soldats, la pornographie suintant tout au long du récit, sans qu'on sache au juste si elle est issue des actions des corps dans cette forteresse où les regards se substituent à la parole, si elle est inspirée indirectement par les mots et les pensées du Grand Maître, ou tout simplement co-substantielle à la dissolution des identités des personnages. Sans compter le saut dans le temps en 1964 qui ajoute à la confusion.
Deleuze, dans Logique du sens, écrit sur Klossowski, préparant sa réflexion sur le syllogisme disjonctif qui trouvera son prolongement dans l'anti-oedipe.
"L"oeuvre de Klossowski est construite sur un étonnant parallèlisme du corps et du langage, ou plutôt sur une réflexion de l'un dans l'autre. Le raisonnement est l'opération du langage, mais la pantomime est l'opération du corps. Sous des motifs à déterminer, Klossowski conçoit le raisonnement comme étant d'essence théologique, et ayant la forme du syllogisme disjonctif. A l'autre pôle, la pantomime du corps est essentiellement perverse, et a la forme d'une articulation disjonctive. Nous disposons d'un fil conducteur pour mieux comprendre ce point de départ. Par exemple les biologistes nous apprennent que le développement du corps procède en cascade : un bourgeon de membre est déterminé comme patte avant de l'être comme patte droite, etc. On dirait que le corps animal hésite, ou procède par dilemnes. De même le raisonnement va par cascades, hésite et bifurque à chaque niveau. Le corps est un syllogisme disjonctif ; le langage est un oeuf en voir de différenciation. Le corps cèle, recèle un langage caché ; le langage forme un corps glorieux. L'argumentation la plus abstraite est une mimique ; mais la pantomime des corps est un enchaînement de syllogismes. On ne sait plus si c'est le pantomyme qui raisonne, ou le raisonnement qui mime."
"D'où ce qui fait le caractère étonnant de l'oeuvre de Klossowki : l'unité de la théologie et de la pornographie (…), ce qu'il faut appeler pornologie supérieure. C'est sa manière à lui de dépasser la métaphysique"
Parmi les thèmes nietzschéens, on retrouve le thème de la transmutation des valeurs opérée par une transsubstantiation. Sainte Thérèse d'Avila annonce au Grand Maître le renversement de l'ordre de Dieu "Le nombre des élus est clos. Dès lors, le genre humain a changé de substance : celle-ci n'est pas plus damnable que sanctifiable. De là, ce pullullement infini, qui trompe ton discernement ! Si lourd est le poids des expirés qu'il déséquilibre l'économie des sphères. Cette prodigieuse quantité d'âmes tourne en vain sur elle-même. Sache que pour peu que les souffles échappent à ta vigilance et qu'ils éventent quelque oeuvre de chair, ils s'infiltrent non pas seulement à deux ou trois comme lorsqu'ils s'amalgament, mais à cinq, mais à sept dans un seul utérus, avides de s'arroger un embryon sur lequel se pouvoir décharger de leurs coulpes antérieures et se refaire une vertu…" (Le Baphomet)
"Dieu ne peut plus garantir aucune identité. C'est la grande pornographie, la revanche des esprits à la fois sur Dieu et sur les corps." (Deleuze)
"Le Baphomet, transformant en mythe la légende des Templiers, traduit, avec une somptuosité baroque, cette expérience de l'éternel retour - assimilée ici aux cycles de la métempsycose et rendue par là plus comique que tragique (à la manière de certains contes orientaux) " (Maurice Blanchot)



Citons Jean Decottignies
http://supervielle.univers.free.fr/textes_decottignies.htm
"… Soyons clairs : lecteurs de la seconde moitié du xxe siècle, comment ne pas tenter, à l'égard des personnages stendhaliens et gioniens, le coup de force de les confronter avec les figures élaborées par l'auteur des Lois de l'hospitalité ? Face à Lamiel, à Sansfin et à Angelo, osera-t-on affirmer que jamais un romancier dit classique n'envisage de dénoncer ses personnages, ou pour parler comme l'époux pervers de Roberte, de faire sauter le verrou de leur identité ? Instant poétique, où la narration s'altère, laissant se dégrader l'instance qu'on dénomme personne humaine, exhibant le caractère aléatoire de ce « postulat » appelé homme. Instant où, dans le traité De l'amour, surgit passagèrement l'image du Don Juan. C'est donc une méthode qu'induit pour moi l’œuvre - philosophique et romanesque – de Klossowski. De sorte que, privilégiant au passage un livre pour lequel son auteur avoue encore sa prédilection, je voudrais que l'étrange figure du Baphomet me serve ici d'annonce allégorique. Je n'oublie pas que ce nom nous reporte aux symboles les plus anciens de la contestation intellectuelle, à la parole magique, dans son émergence scandaleuse, avant que ne la réprime le discours de la théologie. Observez, dans le célèbre Dogme et rituel de Haute-Magie d'Eliphas Lévi, de l'image de ce bouc dressé sur ses pattes de derrière, communément appelé Baphomet. Outre les cornes qui inscrivent au front même de cette figure la marque de la dualité, il se caractérise par le geste disjonctif des mains, dont la droite désigne, « en haut la lune blanche de Chesed », tandis que l'autre montre « en bas la lune noire de Geburah »; le bras levé porte l'inscription « Solve », l’autre « Coagula » ; la description ajoute : « L'un de ses bras est féminin, l’autre masculin ». Comment pareille figure pourrait-elle fonder ce qui s'appelle un dogme, dès lors que tout en elle tend à exclure le choix, et qu'elle inscrit dans tous ses détails le signe du « binaire impur », forme constitutive de l'hérésie, de la « subversion » et de la « folie » ? Le Baphomet est l'ennemi de Dieu ; il fait éclater l'ordre divin du Logos, ordre de la simplicité et de l'univocité du langage. Du côté des choses, aussi bien que du sujet, le geste et la parole magiques, dans leur originelle violence, signifient la perte de l'identité ; par eux est disqualifiée toute définition de l'être, aboli le pouvoir des signes. A l'harmonie du théologique s'oppose le désordre du démoniaque.
Expansion légitime du symbole hermétique, le Baphomet de Klossowski est androgyne, ainsi que le laissaient entendre certains détails de l'image traditionnelle. Sa fonction est de poser, tant pour son être propre que pour ceux qu'il tient sous son charme, le problème de l'identité. A son action « aucun nom propre ne subsiste », pas plus que ne résiste « la haute idée que chacun a de soi-même ». Par là, il est l'autre de la divinité : tenant en échec l'ordre de la mémoire, c'est dans l'oubli d'eux-mêmes qu'il abolit les êtres. « Prince des Modifications de l'Etre », il étend à perte de vue l'hésitation constitutive de l'univers.
L'action du Baphomet pour troubler l'ordre divin consiste à mêler les souffles des âmes après la mort, de manière à interdire la résurrection de chacune dans le corps qui lui fut assigné par la providence divine. Dès qu'un souffle étranger s'insinue dans un être, cet être est irrémédiablement voué au disparate, à la scission, à l'intensité de la différence, dans une participation qui est la véritable désaliénation. C'est pourquoi le Baphomet de Klossowski déclare : « Je ne suis pas un créateur qui asservit l'être à ce qu'il crée, ce qu'il crée à un seul moi, et ce moi à un seul corps. »








 APPEND ICE: Klossowski précurseur du black metal

«Tous les dieux sont morts de rire d'entendre l'un d'entre eux se proclamer uniques! Pierre Klossowski, Le Baphomet

L'âme désincarnée de Øysten Aarseth, exhalait dans son dernier souffle de mourir et qui est né sur le vent d'hiver glacial, hurlaient à travers la fenêtre d'une vieille maison en dehors d'Oslo. Dead était là, toujours mort, la moitié de la tête toujours pressée contre les lambris de bois, son couteau et au fusil à ses côtés, le plancher maculé de sang séché et de la matière cérébrale. Suspendu dans le temps, Dead dernier souffle exhalé cueillaient les calques restants de déblais de crâne et creusé le tissu putréfaction de divulguer une autre tête d'or. A Metalhead.

Aarseth a été retourné à son état final, le jour de son coup de poignard fatal. Alors que la nouvelle tête dorée Dead apparemment surgi d'entre les morts, Aarseth se mit à genoux devant le goatlike créature étrange et divin: «Mon sauveur! il balbutia. «Pourquoi m'appelles-tu le sauveur et s'agenouillent pour moi comme un Dieu», dit-Morte, je ne suis pas un créateur qui asservit l'être à ce qu'il crée, ce qu'il crée un processus unique, et cette auto à un seul corps. Øysten, les millions d'opprimer les mêmes que vous en vous-même sont morts et ont ressuscité des millions de fois en vous, à l'insu de votre auto unique ».

«Ce n'est pas moi que vous avez sauvé du couteau de Vikernes?
«Dans la suspension du temps historique, les événements écho à travers l'infini et les individus éternellement. Mais un souffle tout ce qui a perpétré par son corps peut rester sans conséquence fois qu'il a quitté son corps, puisque nous ne diffèrent en rien sage du vent d'hiver ».

À ce point une autre Chill entré dans la salle que le déjà-breath morts de Varg Vikernes a fusionné avec le souffle de sa victime, se trouvant beaucoup plus faible que celle-ci comme il a vite cherché à se séparer. Accueilli avec aucun sens de la réparation morale, Vikernes a été frappée par une violence d'un autre ordre à celui qu'il a commis: celle de l'indifférence totale, la pire forme de violence, une indifférence qui n'a laissé aucune trace.

Tête d'or Dead scintillait dans l'obscurité, comme il a expliqué que le jugement de Dieu avait été infiniment suspendue depuis qu'il est devenu dévoré par les flammes. «Désormais, l'humanité a changé sur le fond: elle ne peut pas être plus damné que sauvés». Divine jugement a été infirmé, en effet déplacées. Dans cet espace intemporel souvenirs du passé revivent comme des états momentanés d'intensité, un brouillard funérailles d'âmes déchues qui, sans identité ou de décence, sont échangeables contre d'âme à âme. «Ici, pas de paix faite de chair humaine», dit Morte et se prépara à passer à travers les feuilles de la forêt.

«Tu me quittes? Stop ', Aarseth supplié. «De quel nom mai je vous invoquez?
«Qu'importe mon nom pour vous? En vérité je vous le dis: les millions de frères et sœurs en vous, qui sont morts pour votre haute idée de vous-même - Euronymous! - De connaître mon nom bien, et de renaître dans celle-ci; pas de nom propre existe pour le souffle hyperbolique qui est la mienne, pas plus haute idée de personne de lui-même ne peut résister au vertige de ma grande hauteur, mon front domine les étoiles et les pieds remuer les abîmes de l'univers ».

«Il Spell pour moi, je vous en prie, je vais donc vous ont invoqué qu'une seule fois!
Dead a commencé:
'BA ...'
«Ba ...? Euronymous répétées.
«PHO ...» continué Morte.
'... pho ...?'
'Met ... "
'... Met !...'

Baphomet, autrement connu comme le prince de modifications, opposé au principe chrétien qui garantit l'identité de l'âme et l'unité de l'être. Pour citer Pierre Klossowski, «Basilieus métallicorum philosophorum: le souverain des philosophes métallurgique, les précurseurs des théoriciens de black metal, c'est à dire des laboratoires alchimiques qui étaient supposées acquises dans les divers chapitres du temps des Templiers». Le Prince des modifications renverse toute identité et absorbe l'être dans le principe de la multiplicité radicale, c'est-à-dire dans le principe de la noirceur.

Mort Dead râle de rire bruyamment toute la nuit et l'antéchrist sabordé de derrière ses pieds sous la forme d'un fourmilier. Friedrich le fourmilier avec un accent allemand de haut dressées affirmé: «Quand un seul Dieu se proclame unique, tous les autres dieux sont morts de rire! Reborn dans le souffle de ce rire les millions de mains divines se retrouver avec quelque chose de sacré à brûler, comme le cercle de métal noir tourne éternellement dans une clameur d'être qui se déploie un processus de devenir non-self-infinie multiplicité identiques au-delà de toutes les figures de l'unité ou de l'Un. «Tout peut arriver", a déclaré Dead », dans l'infini le noircissement de l'univers».

"Soyez fidèles à votre oubli!