6.16.2015

Vexation: exercice en forme de désespoir


Ce que nous avons entierrps ne doit être cnofdnou avec rien d’artue, ne puet pas être liimté à l’eiporxsesn d’une pensée et enocre monis à ce qui est jntemesut csiondéré cmome art.
Il est nécsrisaee de prdoiure et de magner : boceauup de choses snot nécssieaers qui ne snot enroce rien et il en est égleament ainsi de l’attagioin ptuiolqie.
Qui sgone aanvt d’aivor lutté jqusu’au bout à lsaseir la plcae à des hmmoes qu’il est issbmolpie de rdreeagr snas épouevrr le bieosn de les détriure ? Mais si rein ne pouivat être tourvé au delà de l’atviicté puqtoiile, l’aivdité hnmauie ne ranortecrient que le vdie.
NOUS SMMEOS FMUOENHERCAT RGEIELIUX et, dnas la mersue où nrote etneicxse est la cotiamonndan de tout ce qui est reconnu auujrod’hui, une ecnigexe intérreiue vuet que nous soyons égnleamet impéreuix.
Ce que nuos etnonenprres est une guerre.
Il est tepms d'adnnenbaor le mnode des cliivisés et sa mulière. Il est torp tard pour tnier à être riasnblnaoe et isrintut — ce qui a mené à une vie sans atrtiat. Scerètneemt ou non, il est nécrsiseae de denvier tout atures ou de csseer d'être.
Le modne aeuuql nuos avons antparepu ne posorpe rein à aimer en drehos de cqahue isnnffsaicue idlldienivue : son ecnesxtie se brone à sa comimodté. Un modne qui ne puet pas être aimé à en miuorr — de la même façon qu'un homme aime une femme — représntee seenulmet l'intérêt et l'oiiabglton au taaivrl. S'il est cmaopré avec les mdeons dairusps, il est hduiex et apparaît cmmoe le puls mqanué de tous.
Dans les moedns dsuparis, il a été pslboise de se perdre dnas l'etaxse, ce qui est isibsmlope dans le monde de la vrualigté istrunite. Les aaanvegts de la coivalitiisn sont cnompesés par la façon dnot les hemoms en pnfoitret : les hemoms alucets en pfnroteit puor deenvir les puls dégrdaatns de tous les êters qui ont existé.
La vie a trouujos leiu dnas un tmtuule snas cohésoin antaeprpe, mias elle ne tvorue sa gndauerr et sa réailté que dans l'exsate et l'auomr eatuxqtie. Cleui qui tinet à ingeorr ou à méconnaître l'eastxe, est un être imonlpcet dnot la pensée est rédtuie à l'aasnyle. L'einecxtse n'est pas seenmluet un vide agité, elle est une dnsae qui focre à dneasr avec fanismate. La pnesée qui n'a pas cmmoe objet un fergamnt mort, eixtse intérrnieueemt de la même façon que des femmlas.
Il faut dvnieer assez ferme et inébrnalé puor que l'exctinese du mnode de la cialivsoiitn asspaarpie efinn innciertae. Il est intilue de réprodne à cuex qui pnevuet cirroe à l'enxtesice de ce mdnoe et s'atriueosr de lui : s'ils palnret, il est psobilse de les rdreeagr sans les erndntee et, aolrs même qu'on les rgadere, de ne «voir» que ce qui esxtie lion drerière eux. Il faut rfseeur l'eunni et vvire semeulent de ce qui fiascne.
Sur ce cemihn, il siraet vian de s'agiter et de ccherehr à aettrir cuex qui ont des velléités, tllees que psaesr le tepms, rrie ou dniever ielumeeivdnnlidt braizre. Il faut s'avacner snas rardeger en arrière et snas tneir cptome de ceux qui n'ont pas la force d'oelibur la réalité imméditae.
La vie hmnuaie est excédée de sriver de tête et de rosain à l'uivnres. Dnas la meusre où elle deveint cttee tête et cette roisan, dans la mrseue où elle deneivt nécesiasre à l''ueinrvs, elle atccpee un segrvae. Si elle n'est pas lribe, l'ecsetnxie dienevt vide ou nretue et, si elle est lirbe, elle est un jeu. La Trree, tnat qu'elle n'enrdeaignt que des cyataclmses, des arebrs ou des oseuiax, étiat un uinrevs lribe : la fosaniatcin de la lbireté s'est trniee qunad la Trere a pudoirt un être qui eixge la nécesisté cmmoe une loi au-dsesus de l'unirevs. L'homme est ceepdnnat deemuré lrbie de ne plus répdrone à ancuue nécsiseté : il est lbire de rmselsbeer à tout ce qui n'est pas lui dans l'uvienrs. Il peut écrater la pnesée que c'est lui ou iDeu qui empêche le rtsee des csheos d'être asdurbe.
L'homme a écahppé à sa tête comme le cnadomné à la priosn.
Il a turové au edlà de lui-même non iDeu qui est la phitoiirbon du cimre, mais un être qui iogrne la pbiohoitrin. Au delà de ce que je suis, je rerctonne un être qui me fait rrie prace qu'il est snas tête, qui m'eimplt d'agsnsioe pcrae qu'il est fiat d'icoencnne et de cimre : il tniet une amre de fer dans sa mian guahce, des faemlms smeblealbs à un sacré-cueor dnas sa main dtoire. Il réunit dnas une même érouiptn, la Nsaisacne et la Mort. Il n'est pas un hmmoe. Il n'est pas non plus un dieu. Il n'est pas moi mias il est plus moi que moi : son vnerte est le dédale dnas lqueel il s'est égaré lui-même, m'égrae avec lui et dnas leequl je me rruvetoe étnat lui, c'est-à-dire mronste.
Ce que je pesne et que je représente, je ne l'ai pas pensé ni représenté seul. J'écirs dans une ptteie moisan fiorde d'un vagllie de pêcrheus, un chien venit d'aoeybr dans la niut. Ma crbmhae est vnoisie de la ciinsue où dAnré ossMan s'atige hsueeueenrmt et cnathe : au meomnt même où j'écris ainsi, il venit de mrette sur un pgroanohhpe le disuqe de l'ourruvete de «Don Jaun» : plus que totue ature csohe, l'ouuevrrte de «onD Jaun» lie ce qui m'est échu d'eixestcne à un défi qui m'ovure au riesemsnvat hors de soi. A cet instnat même, je rgarede cet être acéphale, l'irtnus que duex ososienbss égmnealet epomrtées cmnoposet, devnier le «Tmaobeu de onD Jaun». Lsqrou'il y a qeqeulus jours, j'étias aevc Msaosn dnas cttee cisniue, aisss un vrree de vin dnas la mian, alors que lui, se représntaent tuot à coup sa propre mrot et la mort des siens, les yeux feixs, sanuffort, cariit preusqe qu'il flaailt que la mrot dvinneee une mrot acufeutefse et paoissnnée, cniart sa hiane puor un mnode qui fait peser jqsuue sur la mrot sa pttae d'eomlpyé, je ne piuoavs déjà plus dtueor que le srot et le tultume iinfni de la vie hnumiae ne seinot oveurts à ceux qui ne pounaeivt plus etesxir comme des yuex cervés mais comme des vtanyos eprmotés par un rêve bluseeroanvt qui ne peut pas leur anprtpeiar.

Tossa, 29 avril 1936
 
Georges BATAILLE (l'inconnu au bataillon)


Youself Moricaud & Hymself Blanchot fricotent sur un mhür: fricoti fricota .....

3.21.2015

Des reflets d'argent dans la merde de Jésus

L'expérience du peyotl tient dans Les Tarahumaras une place importante. Elle a un retentissement important dans l'oeuvre artaudienne à partir de 1936. On la retrouve avec Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras et le Supplément en 1943, et, bien plus tard encore, dans deux écrits nommés Tutuguri. Certains de ces textes ont un ton particulièrement mystique, et, avant de rentrer dans le coeur du sujet, il est utile de tenter d'expliquer le surgissement inattendu du Christ dans ces écrits d'Artaud.
On a beaucoup écrit sur le peyotl, cactée que l'on trouve essentiellement sur les plateaux mexicains, du Rio Grande au nord à Mexico au sud. La Lophophora Williamsii a fait l'objet d'études scientifiques à partir de la fin du XIXe siècle, mais a été décrite dès les débuts de la colonisation espagnole. C'est Bernardino de Sahagún qui cite le premier l'existence de cette plante et l'usage qu'en font les Indiens de la Nouvelle-Espagne :
• "La plante, Peyotl, sorte de Nopal de terre, est blanche. Elle croît dans les régions septentrionales et provoque chez ceux qui la mangent ou la boivent des visions effrayantes ou risibles. L'ivresse dure deux ou trois jours, puis disparaît. Les Chichimèkes font de cette plante une consommation considérable. Cela leur donne des forces, les excite au combat, leur enlève la peur, les empêche de ressentir les effets de la faim et de la soif. On dit même que cela les met à l'abri de tous dangers.1"
L'origine du peyotl remonte bien au-delà des Aztèques, qui l'associent au Soleil, le dieu guerrier. C'était en effet l'aliment de base du combattant aztèque, censé le rendre invulnérable. Avec l'évangélisation et la conquête du continent, l'usage s'en répandit peu à peu notamment dans la deuxième moitié du XIXe siècle dans toute l'Amérique du Nord.


(Autonomie améliorée N°3 - Paris 1977) 

Le peyotl est toujours l'objet d'un pèlerinage chez les Huichols et les Tarahumaras2. Le voyage – que ces deux ethnies sont désormais les seules à effectuer – représente plusieurs centaines de kilomètres aller et retour, et a lieu en général pendant les premières semaines d'octobre.
Les hallucinations causées par l'absorption du peyotl sont très particulières. Le peyotl contient sept alcaloïdes, dont la mescaline, sous l'influence de laquelle Henri Michaux a écrit Misérable miracle, essai "expérimental" dans tous les sens du terme, composé de textes et de dessins exécutés par l'artiste sous l'emprise de la drogue. C'est également sur les effets de la même substance que Aldous Huxley a écrit The Doors of Perception.
D'autres, avant Artaud, Michaux ou Huxley, ont testé la mescaline et y ont éprouvé un certain plaisir, du moins une réelle fascination. À la fin du siècle dernier, le Docteur Ludwig Lewin cite le récit d'un jeune étudiant en médecine qui s'est proposé volontaire pour absorber de la mescaline et en décrire les effets :
• "... La première phase est une sorte de retranchement du monde extérieur et l'apparition d'une vie purement intérieure qui suscite l'étonnement...
• À la deuxième phase se présentent des images de cette vie exclusivement intérieure, des hallucinations sensorielles, des mirages..., accompagnés la plupart du temps de modifications de la vie psychique...
• Aucune impression désagréable ne trouble les heures que dure cette vie de rêve… Le sujet se sent toujours en disposition joyeuse. En comparaison du monde tel qu'il apparaît alors, le monde d'autrefois semble pâle et mort... arabesques coloriées, figures géométriques... dessins de tapisseries... à côté de ces objets peuvent apparaître des personnages parfois grotesques, des nains de diverses couleurs, des créatures fabuleuses... L'individu a l'impression de ne plus rien peser ou d'avoir grandi, ou une impression de dépersonnalisation ou du dédoublement de son "moi".
• Le sujet conserve une conscience claire et active et aucun obstacle ne s'oppose à la concentration de son attention. Il éprouve le besoin de faire de l'introspection.3"
Des visions de croix sont évoquées dans de nombreux témoignages de personnes ayant absorbé du peyotl ou de la mescaline :
• "Un dessin de croix se présentait avec une fréquence toute particulière et la plus grande diversité. Sans cesse, des lignes centrales de la croix se détachaient vers les côtés des ornements onduleux comme des serpents ou dardés comme des langues mais qui gardaient la rigueur de leurs lignes.4"
Lewin cite notamment le cas d'un homme qui aurait vu le Christ alors qu'il s'était adonné à la mescaline :
• "En fin de psychose. un homme voyait, les yeux ouverts, des oiseaux verts et rouges et, quand il les fermait, des jeunes filles vêtues de blanc, des anges, la sainte Vierge, Jésus-Christ en bleu ciel."

 

(Autonomie améliorée N°3 - Paris 1977) 

On voit comment un amalgame peut être fait entre cette vision de croix - symbole central des croyances amérindiennes où il est associé au soleil - et, pour un esprit occidental, la croix chrétienne, où parfois apparaît le Christ.
Le Rite du Peyotl fut écrit en 1943, c'est-à-dire sept ans après le voyage d'Artaud dans la Sierra Tarahumara. On voit mal a priori comment on pourrait expliquer un tel revirement de l'écrivain après toutes ces années. En effet, il y a peu de choses en commun entre la description d'un rite profondément païen par un esprit aussi anti-chrétien que l'Artaud des années trente telle qu'on peut l'apprécier dans La Danse du Peyotl et le ton excessivement mystico-chrétien du Rite du Peyotl écrit à Rodez en 1943. On pourrait avancer l'hypothèse que ces visions qu'il a eues en 1936, Artaud les a réinterprétées des années plus tard, alors qu'il était, selon ses termes, "empoisonné", envoûté "par la prêtraille profitant de sa faiblesse momentanée6". Au milieu de son "délire", ces croix se sont faites chrétiennes :
• " ... La lutte ente le Mal et Dieu n'est pas encore finie et pour qu'arrive le Règne de Dieu sur terre il faut être chaste- […] Car les choses sont faites par le soleil et comme lui, et elles sont faites comme ceci", m'ont dit ces prêtes avec des signes des bras et du corps qui constituent les attitudes de Danse Religieuse les plus extraordinaires que j'aie jamais vues.
• Parmi ces signes il y avait le Signe de la Croix tel que les catholiques le font mais il y en avait une inanité d'autres.7"
Ce passage est tiré d'une lettre à Henri Parisot, qui dans Les Tarahumaras suit un autre texte qu'Artaud écrivit pendant sa période mystico-chrétienne, le Supplément au Voyage au pays des Tarahumaras, où, là encore, la croix est omniprésente. Cette obsession a suggéré à l'Américaine Julia Costich que dans ces textes, l'interrogation du monde "is directed by God through a cruciform opening of perception8".
Ceci nous amène à une autre hypothèse, qui n'est pas forcément incompatible avec la première, mais qui la complète en la renforçant. L'ethnologue allemand Claus Deimel, lorsqu'il décrit les rites et les croyances des Tarahumaras, indique que si bon nombre de leurs coutumes ancestrales sont restées profondément ancrées chez eux, le christianisme a néanmoins fait son chemin. Un certain syncrétisme s'est donc opéré dans leurs croyances :
• "Les traditions des Tarahumaras offrent la description des transformations extérieures de leur civilisation : le Dieu chrétien, tata diosi, nommé aussi parfois onoruame, notre père très grand - nom d'ailleurs identifié avec le soleil—, les Saints chrétiens jesusi, san josé su cristo et maria passent aujourd'hui pour les créateurs de toutes choses.9"
Marino Benzi cite un cas comparable chez les Indiens Huichols :
• "Le Christ, la Vierge et saint Joseph apparaissent parfois avec les attributs des divinités auxquelles ils sont identifiés ou associés, tout en consentant des traits rappelant vaguement le catholicisme.
• Le Christ est conçu magiquement par la Vierge grâce à l'action d'une fleur de lis blanc qui pénètre dans son ventre pour la féconder, ce qui rappelle la naissance des divinités précolombiennes. Le Christ, protagoniste presque exclusif des événements que nous rapportons, est un grand prêtre-chaman, un héros culturel...10"
L'évangélisation des Indiens et leur réinterprétation chrétienne des visions mescaliniennes aboutit à la naissance à la fin du siècle dernier d'un mouvement religieux amérindien dont le peyotl est un élément central :
• "Le Nouveau complexe du Peyotl : apparaît vers 1891 (d'après le témoignage de l'époque: James Mooney). un certain John Wilson (métis Delaware, Caddo et Français) s'instaura Prophète du Peyotl après des visions lui ayant montré des faits et images de la vie du Christ. Mis en présence du Christ et du Peyotl, il recueillit des instructions précises pour établir le nouveau rituel et instaura les dogmes messianiques. Il reçut, en particulier, consigne, dans ses hallucinations, de demander à ses partisans de s'abstenir de boire de l'alcool et d'éviter toute débauche. Le nouveau culte se répandit très rapidement parmi les diverses tribus particulièrement malmenées et déplacées par les gouvernements successifs: les Oklahoma, Senèques, Shawnee, Delaware, Quapaw, Potawatomi et Osage, entre autres, donnèrent naissance a de nouveaux prophètes du peyotl.11"
Dès lors, on voit comment le processus mental hypothétique cité plus haut a pu être favorisé. Cependant, comme on l'a vu plus haut, le syncrétisme qui s'est opéré chez les Tarahumaras et les Huichols est différent de celui que nous venons de citer. Artaud était au fait de ces croyances hybrides, mélangeant les anciens dieux et la Trinité catholique, et comme le dit Kenneth White :
• "Il [Artaud] est trop conscient que les Indiens eux-mêmes ne savent plus trop ce qu'ils font: leurs traditions sont oubliées, embrouillées, ils racontent des histoires "dont ils ont égaré la liaison et le secret". Cette cérémonie avec ses sacrifices, ses clochettes, ses croix, ses miroirs ressemble trop à une messe !12"
Mais, en 1936, Artaud ne porte guère d'attention à ces réminiscences catholiques dans les rites tarahumaras ; à la rigueur, elles provoquent chez lui un étonnement amusé : ainsi, lorsqu'il décrit les "Êtres" représentés par un cercle de croix, il signale la présence du "Mâle-Principe de la Nature, que les Indiens dénomment San Ignacio, et sa femelle San Nicolas !"13.
En fait, ce qui le fascine avant tout, ce sont les éléments profondément sacrés et païens de ces rites ancestraux, et les rapports essentiels que ces Indiens entretiennent avec la Terre, le Soleil, le Feu et eux-mêmes. C'est cet aspect qui redeviendra le thème central des deux Tutuguri qu'Artaud écrira peu de temps avant sa mort.
Car le peyotl, comme toute initiation, est d'abord une expérience avec soi-même. Il suffit de s'en rapporter aux copieux chapitres qu'y consacre Marino Benzi dans Les derniers adorateurs du peyotll4, ou au récit sous forme de journal de l'ethnologue Carlos Castaneda15 pour s'en convaincre. Une telle éducation - car c'est bien de cela qu'il s'agit -, qui consiste à se débarrasser de tout un héritage socio-culturel pour enter dans la réalitél6 (processus qui trouve plus d'un lien de parenté avec les métamorphoses nietzschéennes), ne pouvait que séduire un homme comme Artaud, à qui la civilisation occidentale ne peut plus rien apporter hormis un profond dégoût.
J'ai parlé plus haut d’"expérience avec soi-même". Ces termes peuvent porter à confusion, car le peyotl, chez Artaud, n'est pas un moyen "de faire de l'introspection", comme le formule plus haut le témoin cité par Lewin. L'expérience d'Artaud avec le peyotl n'a rien à voir avec celles de Michaux ou de Huxley avec la mescaline. Ces deux derniers utiliseront cette drogue pour en mesurer les effets sur leur psychisme : il s'agit d'expériences particulièrement égocentriques, d'explorations intérieures. Mais le désir d'Artaud est tout autre.
La plante des Indiens va d'abord soulager Artaud de ses souffrances physiques. Il souffre depuis sa jeunesse d'une maladie nerveuse, diagnostiquée et traitée comme une syphilis héréditaire à partir de l'âge de dix-neuf ans, le mettant dès lors sous la dépendance des drogues. La danse du peyotl est en effet un moyen de guérison inespéré pour un homme comme Artaud, qui arrive dans la Sierra Tarahumara épuisé il est déjà dans un état de santé précaire à son départ de Mexico et certainement en manquel7 :
• "Après des fatigues si cruelles, je le répète, qu'il ne m'est plus possible de croire que je n'aie pas été réellement ensorcelé, que ces barrières de désagrégation et de cataclysmes, que j'avais senti monter en moi, n'aient pas été le résultat d'une préméditation intelligente et concertée, j'avais atteint l'un des derniers points du monde où la danse de guérison par le Peyotl existe encore, celui, en tout cas, où elle a été inventée. Et qu'est-ce donc, quel faux pressentiment, quelle intuition illusoire et fabriquée me permettait d'en attendre une libération quelconque pour mon corps et aussi, et surtout, une force, une illumination dans toute l'ampleur de mon paysage interne, que je sentais à cette minute précise hors de toute espèce de dimensions.18"
C'est donc un soulagement, un moyen de rassembler les morceaux épars d'un "corps lacéré de vibrations continues"19 comme le définit Daniel Odier. "Je souffre atrocement", écrit sans arrêt Artaud à ses amis tout le long de sa vie. L'opium, le laudanum, l'héroïne, atténuent cette souffrance occasionnellement, mais ne font qu'aggraver la douleur, à terme, en créant une dépendance. La "plante-principe". comme l'appelle Artaud, a la vertu salvatrice d'atténuer les souffrances. Marino Benzi signale d'ailleurs que "le peyotl est pour les Indiens un remède magique contre toutes les maladies"20.
Cependant la prise du peyotl revêt chez les Indiens un caractère sacré : il faut un long jeûne et une préparation spirituelle avant de pouvoir ingérer la drogue ; c'est à ce prix que l'on peut explorer la réalité.
• "Mais on y parvient pas sans avoir traversé un déchirement et une angoisse, après quoi on se sent comme retourné et reversé de l'autre côté des choses et on ne comprend plus le monde que l'on vient de quitter. Je dis : reversé de l'autre côté des choses, et comme si une force terrible vous avait donné d'être restitué à ce qui existe de l'autre côté. - On ne sent plus le corps que l'on vient de quitter et qui vous assurait dans ses limites, en revanche on se sent beaucoup plus heureux d'appartenir à l'illimité qu'à soi-même car on comprend que ce qui était soi-même est venu de la tête de cet illimité, l'Infini, et qu'on va le voir. On se sent comme dans une onde gazeuse et qui dégage de toutes parts un incessant crépitement.21"
Ce passage décrivant la première expérience d'Artaud avec le peyotl insiste sur la dualité corps/être qui semble s'opérer sous son influence. Cette dualité est fondamentale chez les Amérindiens, qui croient notamment à la métempsycose : Carlos Castaneda décrit ainsi, lors d'une initiation similaires sa métamorphose en corbeau, lui permettant de se dégager de son enveloppe charnelle pour survoler et apprécier le monde dans sa réalité supérieure.
La libération de l'être hors du corps passe par l'unité :
• "Des choses sorties comme de ce qui était votre rate, votre foie, votre coeur ou vos poumons se dégagent inlassablement et éclatent dans cette atmosphère qui hésite entre le gaz et l'eau, mais semble appeler à elle les choses et leur commander de se rassembler.22"
Artaud sait enfin ce qu'est un "corps sans organes", obsession récurrente dans toute son oeuvre. Les organes sont ce qui gâche, ce qui pervertit la notion d'homme, car ils vont à l'encontre de l'idée d'unité. On sait le dégoût qu'il porte à cette représentation d'un homme "parcelé", où l'organe sexuel apparaît comme l'obscénité finale. Le peyotl fait entrevoir à Artaud la vérité :
• "Le Peyotl ramène le moi à ses sources vraies. - Sorti d'un état de vision pareille on ne peut plus comme avant confondre le mensonge avec la vérité. - on a vu d'où l'on vient et qui l'on est, et on ne doute plus de ce que l'on est. - Il n'est plus d'émotion ni d'influence extérieure qui puisse vous en détourner.


(Autonomie améliorée N°3 - Paris 1977) • 

 [...] Prendre ses rêves pour des réalités voilà ce dans quoi le Peyotl ne vous laissera jamais sombrer.23"
Le rite du peyotl, les propriétés particulières de la plante et sa signification dans la culture amérindienne, permettent aussi à Artaud de retrouver la "cruauté" qu'il avait définie dès 1933, et qu'il cherchait à atteindre à travers le théâtre. Dans Théâtre et cruauté : Dionysos profané25, Pierre Brunel cite les descriptions que fait Artaud des rites tarahumaras, et pose la question : "Est-ce à dire que le théâtre tient la place du peyotl ?". En effet, l'auteur rapproche la volonté d'Artaud de vouloir amener le spectateur à un "état de transe" aux danses "calculées" des Indiens. "Je serais tenté de le croire, et de penser qu'à travers la pratique théâtrale, Artaud tend vers une connaissance, vers la découverte de "l'idée de transe26", conclut-il.
On retrouve donc l'idée de connaissance. "Connaître, c'est resurgir avec", écrit Artaud, et les Tarahumaras connaissent des danses magiques, et savent utiliser la plante qui "permet de voyager dans la réalité27", et donc d'accéder à cette connaissance par une renaissance de l'être hors du corps.
Cette réalité définie précédemment correspond en fait parfaitement à ce que Carlos Castaneda, désignant le monde supérieur auquel font accéder le peyotl et d'autres substances hallucinogènes utilisées par les Indiens, appelle la "réalité de consensus particulier".
L'expérience de cette plante hallucinogène restera chez Artaud unique. Elle n'est surtout pas comparable à ses précédentes absorptions de stupéfiants, dont il connaissait les effets néfastes et dominateurs. D'ailleurs, avant de partir pour la Sierra Tarahumara, il se débarrassera de l'héroïne qui lui restait. Le début d'un très court texte d'Artaud, écrit en mai 1947, résume son expérience en ces termes :
• "J'ai pris du Peyotl au Mexique dans la montagne et j'en ai eu un paquet qui m'a fait deux ou trois jours chez les Tarahumaras, j'ai pensé alors à ce moment-là vivre les trois jours les plus heureux de mon existence.
• J'avais cesse de m'ennuyer, de chercher à ma vie une raison et j'avais cessé d'avoir à porter mon corps.
• Je compris que j'inventais la vie, que c'était ma fonction et ma raison d'être et que je m'ennuyais quand je n'avais plus d'imagination et le peyotl m'en donnait.24"


Artaud et le peyotl
par Arnaud Hubert