4.08.2009

L'esprit est semblable à un arc-en-ciel multicolore

Certains anthropologues pensent qu'au début nos ancêtres évoluaient dans un univers magique, animé de toutes sortes d'esprits. L'univers était illuminé pendant le jour par l'esprit Soleil et pendant la nuit par l'esprit Lune. L'esprit Terre manifestait sa présence par l'éruption des volcans. La branche d'un arbre qui casse, le tonnerre qui gronde, la rivière qui monte, la pluie qui tombe: chacun de ces évènement était la manifestation d'un esprit. Le monde des esprits était familier et à la mesure de l'homme. Celui-ci interagissait avec les esprits en les cajolant, en les grondant ou en marchandant avec eux. Ainsi l'esprit pierre qui fait trébucher l'enfant est l'objet d'une réprimande, alors que des remerciements sont adressés à l'arbre qui donne ses fruits. Les mêmes règles de vie en société régissaient le monde des esprits et celui des hommes.


(zone d'échange invisible à l'oeil nu - 1977)

Mais avec l'accumulation des connaissances vint la prise de conscience que la complexité et l'organisation de l'univers ne pouvaient être gérés par des esprits semblables aux hommes, mais que les premiers devaient disposer d'un pouvoir surhumain. La spontanéité des relations entre hommes et esprits disparut. La communication se fit désormais par l'intermédiaire d'individus spécifiques et privilégiés, les prêtres. Les cajoleries et les réprimandes laissèrent place à des offrandes et à des sacrifices. Prières et invocations remplacèrent le dialogue direct pour assurer le ravitaillement en vivres. L'élément mythique des dieux fit son apparition. L'univers magique se mua peu à peu, étape par étape, en un univers magico-mythique. Le totemisme, fondé sur le choix d'un animal, d'une plante ou d'un objet comme protecteur d'un groupe social ou clan vis-à-vis d'autres groupes d'une même société, apparut aussi. Pour chasser et tuer, il fallait demander l'autorisation non plus au gibier lui-même, comme auparavant, mais à l'esprit collectif représentant l'espèce tout entière. Avec le temps, les esprits s'éloignèrent de plus en plus de la nature et acquirent de plus en plus de pouvoirs. Ils se transformèrent en dieux, et l'univers magico-mythique bascula vers l'univers mythique. L'aspect magique tendit à disparaitre. Les dieux se firent distants, cosmiques. Distants parce qu'ils n'habitaient plus l'arbre, la rivière ou la pierre, mais des contrées situées bien au-delà de la Terre; cosmiques parce que tout, dans le cosmos, dépendit de leur action. L'alliance entre l'homme et la nature fut rompue. L'homme se mit à adorer les dieux de l'univers mythique, mais il perdit le contact intime et familier avec son environnement. Les arbres abattus ne soufraient plus. Il n'était plus nécessaire de demander l'autorisation à l'esprit des forêts avant d'entrer dans les bois, ou à l'esprit du sanglier avant de commencer sa chasse. Tout s'accomplissait maintenant avec la permission des dieux. La nature devint vide de vie. On pouvait impunément la maltraiter – donner un coup de pied à une pierre, couper un arbre - puisque les dieux n'y résidaient plus. Le sens du respect et de la vénération de la nature fut ainsi perdu. Cette indifférence à la nature s'étendit aux animaux et même aux autres êtres humains. Dans l'univers mythique, on ne se soucia plus de la souffrance des autres créatures vivantes. Quant aux sociétés qui adoraient d'autres dieux, on dénia à leurs membres le statut d'homme, et on les massacra ou asservit. Face aux société de l'univers mythique, celles qui se raccrochaient désespérément à l'univers magique n'avaient aucune chance: elles étaient détruites ou assimilées.

Trinh Xuan Thuan (extrait de "Origines")

3 commentaires:

  1. JOHN PEARSON4/10/2009

    L'a prit trop de LSD le garçon; "l'esprit pierre"! et pourquoi pas la "fontaine" tant qu'il y est

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  2. Georges Didi-Huberman4/17/2009

    "Son être n'est pas demeure, mais "être-en-transition". L'homme est animal, un être animé par soi-même, dans ce sens-là. La sensation n'est jamais pour lui séparable de cette orientation dans l'espace, parce sentir - même lorsqu'on touche quelque-chose ou quelqu'un - s'apparente toujours à une danse où se conjuguent et se mettent en rythme l'approche et l'éloignement, l'union et a séparation. Ainsi, "le mouvement tactile s'amorce par une approche qui commence dans le vide et se termine lorsqu'il atteint à nouveau le vide. {Dans chaque sensation et dans chaque mouvement,} je maintiens un échange continu qui se caractérise par une approche à partir du vide et retourne à celui-ci."
    Chanter la terre ou danser la terre, ce n'est donc pas chanter ou danser son appartenance à la terre. C'est, tout aussi bien, chanter ou danser la distance, c'est à dire un désir et une mémoire en même temps, dans l'impossible appropriation de la terre."

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